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« Le camp
de "réfugiés" de Sangatte »
03/10/2001 Deux membres du
Gisti se sont rendus à Calais et à Sangatte (Pas-de-Calais)
le 26 septembre 2001 à l'occasion de la visite sur place
d'une délégation de députés verts au Parlement
européen.
Après avoir atteint, au début de septembre, l'effectif
de 1 600 personnes, le camp de Sangatte, géré
par la Croix-Rouge française sur la base d'un financement du
ministère de l'emploi et de la solidarité (plus précisément
de la direction des populations et des migrations, DPM), « accueillait »
1 200 étrangers le 26 septembre 2001. Les Afghans
y représentent la nationalité la plus nombreuse, avant
les Irakiens, les Iraniens, les Kurdes de Turquie et d'ailleurs. Rappelons
que les nationalités varient selon les crises : il y a quelques
années, les Kosovars furent ainsi les plus nombreux.
L'« accueil » dans le camp reste toujours aussi
spartiate. Même s'il est évidemment plus satisfaisant de
voir les « réfugiés » abrités
dans cet immense hangar de tôles de 25 000 m² plutôt
que condamnés à survivre à la belle étoile
comme ce fut longtemps le cas, il n'en reste pas moins que le camp est
dénué du moindre confort : fournaise l'été,
glacière l'hiver, très bruyant en permanence, rien ne
permet d'y assurer l'intimité des personnes qui logent dans des
baraques de chantier ou sous des tentes, de plus en plus nombreuses
en raison de la saturation des cabines de 30 places. Des repas
confectionnés par un prestataire de services sont servis trois
fois par jour aux résidents, qui bénéficient notamment
d'un suivi médical minimal (mais la gale serait une habituée
du hangar), de douches, de toilettes, de deux cabines téléphoniques,
de machines à laver le linge. Les enfants ne parviennent toujours
pas à s'inscrire à l'école du village voisin, et
aucun instituteur n'est détaché dans le camp.
Sur le plan de l'information et de l'aide juridique, la situation se
caractérise toujours par une « bienveillante neutralité »
de la part de la Croix-Rouge et de l'OMI qui s'abstiennent. Ce n'est
pas le très solitaire emploi-jeune de la Croix-Rouge qui peut
à lui seul, soutenu par son inexpérience, combler un vide
qui convient manifestement à la France.
Moins les « réfugiés » virtuels de
Sangatte savent de choses en la matière, moins ils songent à
solliciter le droit d'asile en France, et plus ils filent outre-Manche.
Selon les associations de Calais, 600 d'entre eux réussissent,
en ce moment, la traversée chaque semaine en dépit du
renforcement affiché des contrôles en tous genres.
Les associations de Calais (Belle Étoile, Comité catholique
contre la faim et pour le développement, Ligue des droits de
l'homme, Pastorale des migrants, pour ne citer que les plus présentes
sur le terrain de façon régulière) ne s'occupent
ni d'informer les étrangers sur leurs droits ni de les aider
dans leurs démarches. Un emploi-jeune vient d'être recruté
par la Belle Étoile, mais il lui faut encore se former et acquérir
de l'expérience avant d'agir. Ces associations assurent donc
surtout un soutien humanitaire (par exemple, une introduction à
la langue française pour les enfants et les jeunes).
Leur mobilisation est à l'origine de l'ouverture du camp. Elles
se sont mises d'accord pour organiser, les 19 et 20 octobre
à Calais, diverses manifestations en faveur de la création
d'un statut européen des réfugiés.
Initiative salutaire dans un contexte en partie hostile : il y
a belle lurette que la petite station balnéaire de Sangatte (800 habitants
permanents environ) a créé son collectif anti-« réfugiés ».
Une pétition en faveur de la fermeture du camp vient de recueillir
plus de 1000 signature dans la région, et un tract
xénophobe [PDF, 150 Ko], sous
forme de fausse publicité de la Croix-Rouge, circule dans les
rues. Dans ce climat, la CGT vient de publier un document courageux
intitulé « Égalité
et accès aux droits pour tous (salariés et immigrés) »
[PDF, 850 Ko].
Quelque 78 000 étrangers seraient passés dans
ce lieu situé à quelques kilomètres de l'entrée
du Tunnel sous la Manche et à 12 kilomètres des côtes
anglaises depuis son inauguration le 24 septembre 1999. Seuls 120
d'entre eux auraient sollicité l'asile. Un seul irakien
s'est vu reconnaître le statut de réfugié. Même
si une bonne proportion de ces demandeurs d'asile n'ont pas attendu
la fin de la procédure pour passer en Angleterre, le score de
la France à Sangatte en matière de respect du droit d'asile
peut difficilement être plus maigre.
Depuis nos dernières visites sur place, la nouveauté
tient à la présence de l'Organisation internationale des
migrations dans le camp, institution internationale coopérant
avec l'ONU (pour plus d'informations sur l'OIM, voir
son site), qui partage une cabine-bureau avec l'Office français
des migrations internationales (OMI). L'OIM a fait son entrée
à Sangatte en août 2001, au moment où
les autorités du Royaume-Uni ont exigé de la France un
durcissement des contrôles aux frontières. Peu avant et
pour la même raison, les deux pays avaient modifié le « protocole
de Sangatte » (voir le décret n° 2001-481
du 5 juin 2001, et le JO n° 129 du 6 juin 2001,
ainsi que la page Web consacrée
à ce sujet).
Sur le papier, l'OIM réussit l'exploit d'uvrer à
la fois « au côté des migrants et des gouvernements
à la recherche de solutions humaines aux problèmes de
migration ». Dans les faits, elle n'uvre « au
côté des migrants » que lorsque son action
convient aux gouvernements, ce qui se traduit souvent par des aides
au rapatriement. C'est d'ailleurs pour cette compétence-là
que l'OIM tient désormais boutique à Sangatte. Ou plutôt
vitrine puisque personne ne vient profiter du film de 8 minutes
que les gouvernements français et britannique ont financé,
et qui illustre lourdement les difficultés pour obtenir une protection
et un titre de séjour, pour traverser la Manche de quelque manière
que ce soit. Il s'efforce également de montrer la répression
des clandestins et des demandeurs d'asile déboutés en
Angleterre. Les images chères aux documentaires traditionnels
Buckingham Palace, Tower Bridge, Westminster ou les week-ends
de soldes à Londres y sont remplacées par
des séquences d'étrangers sans papiers en centres de détention.
Bref, à Sangatte, l'Occident entend s'affirmer comme un espace
dénué du moindre droit de l'homme.
Sur la table de la boutique de l'OIM/OMI, quatre piles d'un petit livret
de huit pages flanqué du logo des deux organisations attendent
vainement des lecteurs. Intitulé « Dignity
or Exploitation : the Choice is in your hands » [PDF,
800 Ko] (« Dignité ou exploitation :
le choix est entre vos mains »), il est publié en albanais,
en anglais, en arabe et en russe.
On y apprend que « gagner illégalement le Royaume-Uni
est difficile et dangereux », qu'en Angleterre, le vie
est dure (beaucoup d'interpellations d'irréguliers, un regroupement
familial aléatoire, le risque d'être surexploité
par des employeurs sans scrupule...), que, dans un monde aussi hostile,
« l'OIM peut vous donner un coup de main avec l'OMI dans
le cadre de son programme des retour (au pays d'origine) volontaire
assisté » (AVR, en anglais...).
Sur la France, juste une image de « réfugiés »
dormant sur des lits de camp à Sangatte, accompagnée de
ce commentaire : « Vous êtes résident
au centre de Sangatte qui est géré par la Croix-Rouge
française. Ce centre a été créé par
le gouvernement français dans le but de fournir une assistance
humanitaire de courte durée aux migrants en situation irrégulière
comme vous. Cette situation n'est et ne peut être que temporaire
et précaire ». Rien d'autre.
« Le ministère français de l'intérieur
fait partie du comité de pilotage de l'opération OIM/OMI
de Sangatte, nous apprend-on. Et il a mis son veto à l'insertion
de la moindre allusion au droit d'asile en France dans le livret ».
On nous apprend également que, sur deux des principaux engagements
récents du ministre français de l'intérieur à
la suite de sa rencontre de septembre 2001 avec son homologue anglais
présence d'un fonctionnaire britannique dans le camp
pour confirmer sur place la misère du droit d'asile au Royaume-Uni,
mais aussi présence d'un fonctionnaire français pour expliquer
la réglementation en matière d'asile et de séjour
en France , seule la première serait tenue.
C'est ainsi qu'aucun Afghan ne sait à Sangatte que l'OFPRA et
la Commission de recours de réfugiés ont ensemble reconnu,
en 2000, le statut de réfugié à 76,5 %
des 241 de leurs compatriotes qui l'ont sollicité ;
qu'aucun Irakien ne sait que, en ce qui concerne son pays, 46,8 %
des 297 requérants ont obtenu une réponse favorable ;
qu'aucun Iranien ne sait que, pour eux, le score est de 27,3 %
parmi les 320 demandeurs ; qu'aucun Turc ne sait que 17,4 %
de ses semblables ont obtenu le statut (sur 3 597 demandes).
D'où sans doute la curiosité des « réfugiés »
pour les députés européens verts en visite dans
le camp. À en juger par leur rassemblement autour d'eux
quand ils se mirent à crier ce secret d'État sous la cathédrale
de tôles de Sangatte, il est possible que nombre des résidents
se soit mis à rêver de la possibilité de devenir
des réfugiés réels en France.
Dernière mise à jour :
9-10-2001 21:33
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Cette page : https://www.gisti.org/
doc/actions/2001/sangatte/compte-rendu.html
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