COORDINATION FRANÇAISE
POUR LE DROIT D'ASILE
Peu de résultats dans le domaine de la protection
des réfugiés, beaucoup de mesures pour renforcer
le contrôle des flux migratoires
Document préparé pour la Coordination
par P. Delouvin (AI),
V. Planès (Forum Réfugiés) et C. Rodier
(Gisti).
Lors de la réunion du CERE [1]
à l'Assemblée nationale le 11 mai 2000, un représentant
du ministère de l'Intérieur avait présenté aux
associations présentes les priorités de la Présidence
française. En fait, pendant ses six mois de Présidence,
la France aura peu proposé dans le domaine de l'asile mais beaucoup
pour renforcer le contrôle des flux migratoires (sanctions à
l'encontre des transporteurs et des passeurs, réseau des officiers
de liaison, initiatives en matière de lutte contre l'aide à
l'entrée, la circulation ou le séjour irréguliers
d'un étranger). Ces mesures auront sans doute comme conséquences
de rendre plus difficile l'accès aux procédures d'asile
pour des personnes devant fuir leur pays et rechercher une protection
internationale. Les chefs d'État et de gouvernement avaient pourtant
déclaré à Tampere en 1999 que leur objectif était
« une Union européenne ouverte et sûre, pleinement
attachée au respect des obligations de la Convention de Genève
et des autres instruments pertinents en matière de droits de
l'homme » et la France en avait revendiqué la paternité
partagée avec l'Allemagne et la Grande-Bretagne. En plus du souci
des États membres de préserver la souveraineté
nationale pour ces questions, la multiplicité des interlocuteurs
au niveau français et la nécessité de nombreux
arbitrages interministériels dans le domaine de l'asile et des
questions connexes n'ont pas non plus facilité les avancées.
Le Conseil européen de Nice a adopté définitivement
la Charte des Droits fondamentaux clôturant ainsi un processus
de rédaction d'une année auquel nombreux représentants
de la société civile ont pu participer. À ce stade,
ce texte n'a pas de valeur juridique contraignante. Le droit d'asile
est inscrit à l'article 18 (chapitre II : Libertés) :
« Le droit d'asile est garanti dans le respect des règles
de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 et du Protocole
du 31 janvier 1967 relatifs au statut des réfugiés
et conformément au Traité instituant la Communauté
européenne ». Il est regrettable que la référence
au traité d'Amsterdam limite la portée de cet article en
renvoyant aux dispositions du Protocole dit « Aznar »
qui exclut en principe l'examen par les États membres d'une demande
d'asile présentée par un ressortissant de l'UE.
On peut se réjouir en revanche que l'article 19.2 de la
Charte, en énonçant que « Nul ne peut être
éloigné, expulsé ou extradé vers un État
où il existe un risque sérieux qu'il soit soumis à
la peine de mort, à la torture ou à d'autres peines ou
traitements inhumains ou dégradants », affirme
l'importance du principe de non-refoulement.
Le débat sur le devenir de la Convention de Dublin avait démarré
en mars 2000 par l'examen d'un document de travail de la Commission
européenne. Celle-ci présentera en mars 2001 une
proposition de règlement communautaire devant remplacer la Convention
mais les critères changeront probablement peu, à part
quelques « améliorations inspirées
par l'expérience » [2]. Le lien probablement maintenu entre admission
d'un étranger sur le territoire et responsabilité de l'examen
de sa demande d'asile ultérieure risque à nouveau de dissuader
les États membres d'ouvrir leurs portes.
Si la nouvelle mouture de la Convention de Dublin n'est pas encore
adoptée, son corollaire, la Convention
Eurodac pour la comparaison des empreintes digitales, a été
adoptée le 11 décembre 2000 sous forme de règlement
communautaire. Son contenu n'est pas sans soulever quelques inquiétudes
notamment sur l'âge des personnes concernées (à
partir de 14 ans) et sur les problèmes relatifs au traitement
et à la conservation des données. Eurodac vise à
aider à l'identification du pays responsable du traitement d'une
demande d'asile ou de l'éloignement d'un débouté.
Cette base centrale informatisée de données dactyloscopiques
concerne les demandeurs d'asile mais aussi les personnes appréhendées
à l'occasion du franchissement irrégulier d'une frontière
extérieure de l'UE ou en situation irrégulière
sur le territoire de l'un des États membres. Chaque État
membre y aura accès et y entrera les données afin de reconstituer
le parcours des étrangers depuis leur arrivée sur le territoire
de l'UE jusqu'à leur éventuel refoulement.
En 2000, la Commission a entrepris une étude comparative sur
les conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans les 15 États
membres. La Présidence française souhaitait faire de cette
question une de ses priorités et a distribué une première
note d'orientation dès le mois de juillet [3] contenant des dispositions intéressantes. L'essentiel
de ses recommandations a été repris par le Conseil Justice
et Affaires intérieures (JAI), lors de la session des 30 novembre
et 1er décembre, sous la forme des Orientations pour
le futur instrument communautaire sur les conditions d'accueil des demandeurs
d'asile. La Commission est invitée à prendre en compte
ces orientations pour l'élaboration d'un futur instrument
communautaire.
Les États sont encouragés à assurer aux demandeurs
d'asile « des conditions de vie décentes pendant
toute la durée de la procédure » et la détention
« du simple fait qu'ils sont demandeurs d'asile »
est exclue. Si leur droit à l'information est consacré,
ainsi que l'accès aux soins médicaux et la scolarisation
des mineurs, le principe d'un « droit au séjour »
n'est pas repris. En outre, des oppositions subsistent à
la liberté de circulation des demandeurs et la discussion reste
ouverte quant à leur accès au travail et à l'application
du texte aux bénéficiaires de la protection subsidiaire.
Faisant référence à une résolution datant
de 1995, la Commission a présenté au Conseil JAI de septembre 2000
une Proposition de directive relative à des normes minimales
concernant la procédure d'octroi et de retrait du statut de réfugié.
L'objectif affiché est l'accélération des procédures,
avec notamment un système « simple et rapide de
traitement des demandes d'asile [...] qui ne comporterait qu'un
seul recours ou une seule révision et la possibilité de
faire appel devant une juridiction d'appel » . En
ce qui concerne les droits de demandeurs pendant la procédure,
la proposition reprend des garanties qui figuraient dans la résolution
de 1995 (droit à un entretien personnel, de se mettre en
rapport avec des organisations ou des personnes susceptibles d'apporter
une assistance, droit à un interprète et de faire appel
d'une décision). Malheureusement, le texte reprend et développe
également les notions de pays tiers sûr ou de premier asile,
de pays d'origine sûr, de procédure accélérée
et de demandes manifestement infondées. Ainsi, l'accès
à une procédure d'asile complète, satisfaisante
et individuelle n'est toujours pas garanti. La prévision d'adopter
une proposition de directive en avril 2001 a peu de chance d'être
respectée.
Le Fonds Européen pour les Réfugiés (FER) a pour
vocation de « soutenir et encourager les efforts consentis
par les États membres pour accueillir des réfugiés
et des personnes déplacées et supporter les conséquences
de cet accueil ». Le FER combine en un programme unique
des actions structurelles dans les domaines de l'accueil des demandeurs
d'asile, de l'intégration des réfugiés et de l'aide
au retour. Il est doté d'un budget de 216 millions d'euros
pour une période de cinq années. Après de laborieuses
négociations, ce Fonds a été adopté par
le Conseil le 28 septembre 2000. Les modalités de mise en
uvre de ce Fonds sont largement décentralisées,
la sélection et la gestion des actions incombant aux États
membres. Des fonds 2000 ont pu être débloqués et
la vigilance continue de s'imposer quant à la transparence de
la sélection des projets et l'utilisation de ces moyens financiers
supplémentaires issus du budget communautaire.
Sur ce dossier, la Commission avait proposé un projet de directive
en mai 2000. La France a déposé une note en sept
points dès le mois de juin 2000. Elle insistait sur la prééminence
de la Convention de Genève mais semble désormais accepter
la suspension de son application pour deux années en cas d'afflux
massifs. Le débat est sans doute loin d'être clos.
Fin 1999, la Commission européenne avait rendu publique une
proposition de directive relative au regroupement familial dont la philosophie
générale est l'instauration d'un droit au regroupement
familial pour les ressortissants de pays tiers déjà résidents,
y compris les réfugiés statutaires et les bénéficiaires
d'une forme de protection subsidiaire. Après amendements du Parlement
européen, la nouvelle version de la directive [4]
exclut les personnes couvertes par une forme de protection subsidiaire
de son champ d'application, en raison de l'absence d'homogénéité
du concept de « protection subsidiaire » au sein
des États membres. Une initiative sur le statut de ces personnes
devrait être introduite par la Commission au cours de l'année 2001.
La maîtrise des flux et la lutte contre l'immigration illégale
ont été parmi les priorités de la Présidence
française. De nombreux accords ont été conclus :
reconnaissance mutuelle des décisions d'éloignement, mandat
de négociation par la Commission d'accords de réadmission [5], listes de pays soumis ou exemptés de visas.
Un réseau d'« officiers de liaison » a
été recommandé dans un plan d'action proposé
en juillet 2000. Le Conseil JAI de novembre a consacré cette
notion et invité les États membres à renforcer
la coopération entre ces agents présents dans un même
pays ou une même région, pays sources d'immigration ou
de transit. Durant sa Présidence, la France a organisé
trois séminaires dans ces domaines et il est particulièrement
regrettable qu'aucun séminaire n'ait été consacré
aux questions d'asile et que les associations et le HCR n'aient pas
été autorisés à assister à celui
consacré à la lutte contre les filières d'immigration
clandestine.
À ce sujet, la France dit avoir donné l'impulsion décisive
à ses travaux. Le rapport d'étape sur l'évaluation
des six premiers plans d'action [6]
et les futures perspectives a effectivement été adopté
par le Conseil européen de Nice le 7 décembre. Il
est regrettable que les plans d'action ne proposent pas une réelle
stratégie destinée à s'attaquer aux violations
des droits humains et mettent davantage l'accent sur les mesures de
contrôle des flux. Il est malheureusement plus facile de mettre
davantage de policiers à nos frontières que de demander
aux Talibans de cesser de persécuter les Afghans.
La France a formulé une proposition de directive sur l'harmonisation
des sanctions à l'égard des compagnies acheminant des
passagers démunis des documents requis [7].
Selon ce texte, il est essentiel qu'un tel dispositif « ne
porte aucun préjudice à l'exercice du droit d'asile » ;
de même, les transporteurs aériens, maritimes ou terrestres
ne seraient pas sanctionnés si les passagers sont « admis
sur le territoire au titre de l'asile ». La France suggère
que la sanction soit « dissuasive », d'un
montant minimal de 2000 euros par personne et que les États
membres soient libres d'adopter des mesures plus sévères.
Lors du Conseil JAI, des réserves ont été émises,
que ce soit sur l'attribution des sanctions par personne transportée
ou par transporteur poursuivi ou sur le montant entre 3000 et 5000 euros.
La Présidence française a proposé en juin 2000
deux documents afin de mieux définir « l'aide à
l'immigration irrégulière » et de « renforcer
le cadre pénal » pour la répression de cette
infraction. L'objectif est de faire adopter par chaque État membre
des sanctions à l'encontre de quiconque aide ou tente d'aider
un étranger à pénétrer, à séjourner
ou à circuler sur le territoire d'un État membre. Lors
de sa session des 30 novembre et 1er décembre, le Conseil
JAI a procédé à un échange de vues sur ces
projets. Selon le compte-rendu, le Conseil apporte « la
plus grande attention au respect des activités des organisations
humanitaires, apportant bénévolement leur aide aux immigrés
en situation irrégulière, ainsi qu'à la protection
des victimes du trafic d'êtres humains » mais les
textes ne contiennent aucune référence aux obligations
internationales souscrites par les États envers les réfugiés
et les demandeurs d'asile. En outre, la question de l'exigence d'un
but lucratif comme élément constitutif de l'infraction
« n'a pas trouvé de réponse unanime ».
On peut cependant encore espérer que les textes ne seront pas
adoptés comme tels. En effet, les réserves principales
émanent notamment de la Suède et la Belgique, les 2 États
exerçant les prochaines Présidences de l'UE, réserves
en particulier sur la question des sanctions et sur l'inclusion d'une
clause humanitaire pour protéger le travail des organisations
d'aide aux étrangers.
18 janvier 2001.
Notes
[1] Conseil européen pour les
réfugiés et exilés.
[2] Communication de la Commission,
« Vers une procédure d'asile commune et un statut
uniforme », 22 novembre 2000.
[3] Cette note traitait les domaines
de l'information, du séjour, des conditions de circulation, de
l'aide financière et matérielle, de l'accès au
travail, de l'accès aux soins, de l'unité de la famille
et de la scolarisation des mineurs.
[4] Proposition modifiée de
directive du Conseil relative au droit au regroupement familial,
10 octobre 2000, COM(2000)624 final, 1999/0258 (CNS).
[5] Avec Maroc, Pakistan, Russie, Sri
Lanka.
[6] Afghanistan, Albanie, Iraq, Maroc,
Somalie, Sri Lanka.
[7] Texte publié au JOCE C269
du 20 septembre 2000.
Dernière mise à jour :
12-02-2002 23:33
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