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Emplois fermés aux étrangers à Air France

Courrier adressé au président d'Air France demandant l'abrogation de la condition de nationalité

Paris, le 25 avril 2001

À l'attention de :

Monsieur Bernard Spinetta
Président du Conseil d'administration
Compagnie nationale Air France
Siège social
45, rue de Paris
95747 Roissy Charles De Gaulle Cedex

Monsieur Laurent Fabius,
Ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie
139, rue de Bercy, Télédoc 151
75572 Paris Cedex 12 

Monsieur Jean-Claude Gayssot
Ministre de l'Équipement, des Transports et du Logement
246, bd Saint-Germain
75007 Paris 

Madame Florence Parly
Secrétaire d'État au Budget
139, rue de Bercy, Télédoc 151
75572 Paris Cedex 12 

Objet : demande d'abrogation de l'article 9 du statut du personnel de la Compagnie nationale Air France soumettant à une condition de nationalité l'accès aux emplois relevant de ce statut

Mesdames et Messieurs les Ministres et Secrétaires d'État,

Monsieur le Président du Conseil d'administration de la Compagnie nationale Air France,

Mesdames et Messieurs les membres du Conseil d'administration,

Par la présente, nous avons l'honneur de vous demander de bien vouloir abroger l'article 9 du statut du personnel de la Compagnie nationale Air France, « établi en application du Titre IV du Livre III du Code de l'Aviation Civile », adopté par le Conseil d'administration d'Air France et approuvé le 30 septembre 1994 par le ministre de l'Equipement du Transport et du Tourisme, et le ministre du Budget en ce qu'il prévoit que : « Pour être admis à la Compagnie en qualité de personnel statutaire, tout candidat doit : 4°) justifier de la nationalité française ou d'un pays membre de l'Union Européenne ».

En application de l'article 3 du décret du 28 novembre 1983 et du principe général de droit dégagé par le Conseil d'État dans son arrêt de 1989 Alitalia, vous êtes tenu de faire droit à la présente demande d'abrogation car l'existence de cette condition de nationalité nous semble contraire au principe d'égalité, garanti notamment par l'article 6 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, tel qu'interprété par le Conseil d'État (notamment CE 30 juin 1989 BAS de Paris c/Lévy et MRAP) et le Conseil constitutionnel (notamment DCC 89-269 du 22 janvier 1990 et n° 93-325 du 13 août 1993).

Qui plus est, le Conseil d'État a consacré dans son arrêt du 8 juillet 1998 M. Adam et autres (n° 191-812, conclusions Mme Maugüé, aux Petites affiches, n° 145 du 4 décembre 1998) un principe général dont s'inspire l'article L. 122-45 du Code du travail prohibant toutes discriminations en raison de la nationalité dans l'accès à un emploi dans le cadre d'un service public. Soumettre l'accès à un emploi statutaire à une condition de nationalité est clairement contraire à ce principe.

Par ailleurs, le fait de subordonner intentionnellement l'accès à un emploi à une condition de nationalité est également susceptible de constituer un délit, prévu et réprimé par les articles 225-1 et s. du code pénal, aggravé lorsqu'elle émane d'une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargé d'une mission de service public (article 432-7 du code pénal).

Certes, cette condition de nationalité trouve un fondement dans une norme de valeur réglementaire, dans la mesure où ce statut a été approuvé par arrêté du ministre de l'Equipement du Transport et du Tourisme, et celui du Budget. En outre, la Compagnie Air France est chargée d'une mission de service public, lui imposant de ce fait des obligations particulières.

Mais, vous ne pouvez ignorer que le Conseil constitutionnel a précisé, dans sa décision du 23 juillet 1991, que les dispositions de l'article 6 de la DDHC, si elles ont notamment pour objet de fonder le principe d'égal accès de tous aux emplois publics, ne sauraient être interprétées comme réservant aux seuls citoyens l'application du principe qu'elles énoncent.

Et, comme le souligne le professeur Chapus, dans un article datant de 1981 [1], en s'appuyant sur la jurisprudence du Conseil d'État, « Le principe, en droit français, est celui de la possibilité pour les étrangers d'exercer les fonctions publiques. Pour savoir si telle fonction est accessible aux étrangers, il y a lieu, en effet, de rechercher, non pas si elle leur a été déclarée ouverte, mais s'il existe des obstacles à ce qu'elle leur soit confiée ». On relèvera dans ce sens que dès 1863 (14 mars 1863 Sauphar, p. 249, Dalloz périodique 1863.III.37, note X.), le Conseil d'État a reconnu la possibilité de recruter un étranger dans un emploi relevant d'une administration publique (en l'espèce en qualité d'employé dans le service intérieur des Ponts et Chaussée), en l'absence de disposition législative s'y opposant. Il affirma clairement ce principe en 1975 dans son arrêt Élection des représentants du personnel au Conseil d'administration du CES François Mauriac à Louvres (Dalloz, 1976 p. 72 et s. note Pacteau). Aux termes de cet arrêt, les « fonctions publiques (...) ne sont accessibles aux étrangers que si n'y mettent obstacle aucune disposition législative en vigueur, aucun principe général du droit public français, ni aucun acte pris par l'autorité disposant du pouvoir réglementaire dans les limites de ses compétences et compte tenu des nécessités propres et de la mission du service ». Depuis cette date, la Haute juridiction administrative a constamment adopté cette position (voir notamment CE 12 mai 1978, Élection des membres étudiants du conseil d'administration du CROUS de Nancy-Metz, p. 205, RDP 1978, p. 1148, note Waline, et plus récemment CE 10 juillet 1996, Intercapa Solidarité Étudiants Étrangers et autres, n° 161461, conclusions Abraham).

Ces jurisprudences paraissent tout à fait transposables pour ce qui est des emplois relevant du statut de la Compagnie nationale Air France, qui exerce sa mission dans le cadre d'un service public. Or, il n'existe ni disposition législative, ni principe général, ni nécessités propres et de la mission du service justifiant l'exclusion généralisée des étrangers de ces emplois. Dès lors, aucune raison ne permet, en ce début du XXIème siècle, de maintenir une condition de nationalité aussi archaïque pour accéder aux emplois statutaires d'Air France.

Dans la mesure où le statut du personnel d'Air France a également été approuvé par arrêté du ministre chargé de l'aviation civile et par le ministre des finances, nous adressons également la présente demande d'abrogation au Ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie, au Ministre de l'Équipement, des Transports et du Logement et à la Secrétaire d'État au Budget.

Nous attendons du conseil d'administration d'Air France, du ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie, du Ministre de l'Équipement, des Transports et du Logement et de la Secrétaire d'État au Budget, qu'ils donnent une suite favorable à cette demande.

Dans l'attente, nous vous prions d'agréer, Mesdames et Messieurs les Présidents, Ministres, Secrétaires d'État et membres du Conseil d'administration, l'expression de nos plus hautes considérations,

  • Pièce jointe : extrait des statuts de la compagnie nationale Air France (article 9).


Notes

[1] Chapus René, Nationalité et exercice de fonctions publiques, in Service public et Libertés, Mélanges Charlier, 1981, p.19 et s.

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Dernière mise à jour : 21-07-2001 11:40.
Cette page : https://www.gisti.org/ doc/actions/2001/air-france/lettre.html


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