Édito extrait du Plein droit n° 145, juin 2025
« Migrations, pourquoi tant de discours ? »
Des propositions de loi en rafale
ÉDITO
Comme dans d’autres domaines, il est difficile de lire et comprendre le cap du chef du gouvernement actuel en matière d’immigration et d’asile. Si l’on en croit les déclarations du Premier ministre, il n’y aurait pas de réforme nouvelle globale du Ceseda, ce qui priverait le ministre de l’intérieur d’une loi portant son nom et de la visibilité qui l’accompagne. Qu’à cela ne tienne, ce dernier peut compter sur ses troupes, surtout au Sénat, pour prendre le relais et assurer sa promotion communicationnelle.
Et force est de noter que depuis début décembre, on assiste à un vrai festival de propositions de loi affectant durement le droit des étrangers. La plupart d’entre elles sont du « réchauffé », car elles reprennent des dispositifs ajoutés par amendements à la loi du 26 janvier 2024, et retoqués par le Conseil constitutionnel pour des questions de procédure. C’est le cas du texte visant à imposer une condition de résidence de deux ans (et non plus de cinq, pour tenter de franchir le cap des exigences constitutionnelles) pour le versement de certaines prestations sociales, adopté par le Sénat en mars et symbolisant « la préférence nationale [1] ».
Début mai, pas moins de sept propositions de loi étaient déjà discutées, soit au Sénat, soit à l’Assemblée nationale, sans oublier celles qui, sans viser spécifiquement les étrangers, tendent à diviser, exclure et nourrir des réflexes xénophobes sous la bannière de la laïcité « à la française » ou de réflexes identitaires, comme la proposition interdisant le voile dans les compétitions sportives. Toutes ne sont pas vouées au même destin.
Pour plusieurs d’entre elles, l’objectif reste d’ordre politique : il s’agit de continuer à préparer le débat public aux thèses de l’extrême-droite, par là même en coupant l’herbe sous le pied du Rassemblement national. En ce domaine, le combat gagne du terrain tant les parlementaires ont sorti le grand jeu, en instrumentalisant à outrance les thèmes sécuritaires, migratoires et identitaires. Les niches ouvertes au Parlement pour faire avancer des propositions de loi ne permettront pas à la majorité d’entre elles d’aller au-delà de la gesticulation verbale. Ce n’est toutefois pas le cas pour toutes. Pour exemple, la loi renforçant les conditions d’accès à la nationalité française à Mayotte, qui pose une condition de séjour régulier d’un an pour les deux parents au moment de la naissance en France de leur enfant (inexistante dans les autres territoires), a été définitivement adoptée… sans que le Conseil constitutionnel y trouve quelque chose à redire, au nom de l’éternel argument des « caractéristiques » de Mayotte : « Les dispositions contestées instaurent une différence de traitement qui ne dépasse pas la mesure des adaptations susceptibles d’être justifiées par les caractéristiques et contraintes particulières propres à cette collectivité et qui est en rapport avec l’objet de la loi. Elles ne portent pas non plus atteinte au caractère indivisible de la République » (7 mai 2025, DC n° 2025-881).
Si l’on revient à la catégorie des propositions de loi qui relèvent de la stratégie politique, on peut citer celle qui, adoptée par le Sénat le 20 février dernier, vise à insérer dans le code civil un article ainsi rédigé : « Le mariage ne peut être contracté par une personne séjournant de manière irrégulière sur le territoire national. » Une telle disposition ne devrait pas, a priori, passer le cap du contrôle de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel ayant rappelé que « le respect de la liberté du mariage, composante de la liberté personnelle protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789, s’oppose à ce que le caractère irrégulier du séjour d’un étranger fasse obstacle, par lui-même, au mariage de l’intéressé ». Pose également un problème, cette fois de compatibilité avec le droit européen, la proposition visant à rétablir le délit de séjour irrégulier, jugé par la Cour de justice de l’UE contraire à la directive « Retour » de 2008. Soutenue par le gouvernement, elle entend contourner cette incompatibilité en prévoyant que ce délit ne soit plus sanctionné par une peine d’emprisonnement mais uniquement par une amende correctionnelle de 3 750 €. À quoi servirait cette infraction ? Ce retour de la criminalisation aurait pour objet de dissuader les étrangers de venir en France ou, selon les cas, de les inciter à partir.
Ce dispositif ne résiste à aucune analyse sérieuse. On pourrait écrire la même chose à propos de la proposition visant à faciliter le maintien en rétention des personnes condamnées pour des faits d’une particulière gravité et présentant de « forts risques » de récidive.
Il s’agit d’autoriser la prolongation de la rétention administrative jusqu’à 210 jours, comme cela est déjà prévu pour les étrangers condamnés pour terrorisme. Le texte, présenté comme une mesure répondant à l’émoi causé par l’assassinat sordide, en septembre 2024, de la jeune Philippine [2], se heurte aux constats récurrents des organisations présentes en centre de rétention administrative (CRA) : l’allongement de la présence dans un CRA est sans impact sur l’effectivité de l’éloignement.
D’ailleurs, ces mêmes organisations sont dans l’œil du cyclone. Par leur obstination à vouloir aider les personnes placées en rétention à défendre leurs droits, elles constitueraient un obstacle à l’éloignement… Qu’à cela ne tienne. Et hop, une proposition tendant à confier à l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii) certaines tâches d’accueil et d’information des personnes retenues. Les associations que sont La Cimade, Forum réfugiés ou encore France Terre d’asile, seraient remplacées par l’Ofii ; le gouvernement serait par là même assuré d’une information au rabais transmise aux personnes retenues, et à l’abri de procédures contentieuses. Quand on sait que les agents de l’Ofii, dont c’est l’une des fonctions, rechignent à aider ces derniers à récupérer leurs bagages, alors proposer un accompagnement juridique…
Faudra-t-il supporter cette nauséabonde frénésie parlementaire jusqu’aux prochaines élections ? On peut le craindre.
Notes
[1] Voir Lola Isidro et Antoine Math, « La préférence nationale, encore et toujours », Plein droit, n° 143, octobre 2024.
[2] « Féminicide : refuser le prisme xénophobe », Gisti, 29 octobre 2024.
Partager cette page ?