Demande d’un droit de regard sur l’accès au téléphone au CRA de Pamandzi (Mayotte)

Alertées par de nombreuses personnes retenues au CRA de Pamandzi sur l’impossibilité dans laquelle elles se trouvaient d’accéder à un téléphone ou d’émettre des appels vers l’extérieur, la Cimade, l’ADDE, le SAF et le Gisti ont présenté au président du tribunal de grande instance de Mamoudzou, le 15 mars 2019, une requête tendant à ce qu’il désigne un huissier chargé de vérifier les conditions dans lesquelles ces personnes pouvaient communiquer avec l’extérieur par téléphone et avaient notamment accès à un appareil en état de fonctionnement et à des cartes prépayées.

La requête a été rejetée par une ordonnance du 19 mars, fondée sur l’incompétence du juge judiciaire. S’appuyant sur un arrêt de la Cour de cassation qui avait au contraire admis la compétence du juge judiciaire dans une affaire similaire, les organisations requérantes ont fait appel de cette ordonnance devant la chambre d’appel de Mamoudzou.

Celle-ci, par un arrêt du 3 septembre 2019, a reconnu la compétence du président du TGI pour statuer sur la requête, mais elle a considéré que la désignation d’un huissier n’avait plus d’objet au motif que le juge des libertés et de la détention avait entretemps ordonné la mainlevée de la rétention de la personne dont la situation était mentionnée à titre d’exemple des dysfonctionnements du CRA en matière d’accès au téléphone.

Une nouvelle requête aux fins de désignation d’un huissier a donc été déposée dès le 18 septembre 2019, détaillant très précisément tant les textes régissant les droits des personnes retenues en matière d’accès à un téléphone que les obstacles qui s’y opposaient dans les faits au sein du CRA, avec attestations à l’appui.

Le jour-même, le juge a rejeté la requête au motif qu’elle aurait été « insuffisamment étayée », contraignant les associations requérantes à s’engager dans une nouvelle procédure d’appel.

Par un arrêt rendu le 4 février 2020, la chambre d’appel de Mamoudzou a pourtant refusé d’infirmer l’ordonnance du président du TGI au motif qu’ « un procès-verbal de constat d’huissier établissant les conditions d’utilisation des publiphones à un instant donné … ne pourrait être, de façon efficace, utilisé ad futurum à l’occasion de procédures particulières concernant des retenus devant le juge des libertés et de la détention, dans le cadre de la défense de leurs droits propres ». Ce qui revient à préjuger du caractère probant d’un tel constat alors même que la pertinence de la désignation d’un huissier ne peut évidemment dépendre des résultats, par hypothèse inconnus, de ses investigations.

Un pourvoi a donc été déposé devant la Cour de cassation contre cet arrêt.

La Cour de cassation, par un arrêt du 14 septembre 2022, a cassé la décision de la cour d’appel. Après avoir rappelé l’obligation d’informer de leurs droits les personnes placées en rétention et de mettre à leur disposition un téléphone en libre accès, elle confirme qu’ « un constat d’huissier de justice sur le fonctionnement de lignes téléphoniques qui peut être produit, par une personne retenue, devant le juge des libertés et de la détention garant de ses droits au soutien d’un moyen tiré d’une atteinte à l’exercice effectif de son droit de communiquer, peut être sollicité par une association de défense des droits des étrangers retenus ». La cour d’appel ne pouvait donc pas considérer qu’un procès-verbal de constat d’huissier de justice établissant les conditions d’utilisation des publiphones dans un centre de rétention administrative à un instant donné ne pourrait pas être utilisé à l’occasion de procédures particulières concernant les retenus devant le juge des libertés et de la détention pour la défense de leurs droits propres.

Pourtant, par un arrêt rendu le 3 octobre 2023 la chambre des appels de Mamoudzou a refusé de s’incliner et confirmé à nouveau l’ordonnance rendue le 18 septembre 2019 par laquelle le président du tribunal de grande instance de Mamoudzou avait rejeté la requête aux fins de désignation d’un huissier.

Pour s’obstiner dans cette voie et entrer ainsi en résistance contre la cour suprême, les juges du fond considèrent cette fois, d’une part qu’en invoquant un risque de disparition des preuves, les associations requérantes n’auraient pas suffisamment justifié la nécessité de recourir à une procédure d’ordonnance sur requête, par nature non contradictoire, d’autre part que « dans le meilleur des cas, les constats sollicités ne pourront trouver utilisation que dans le cadre du contrôle par le Juge des libertés et de la détention des rétentions administratives en cours au moment où ils seront dressés » et, enfin, qu’« il ne peut être invoqué un risque de déperdition de la preuve dés lors que les situations auxquelles les constats ont vocation à s’appliquer ne sont pas encore nées ».

Première requête aux fins de désignation d’un huissier
Ordonnance TGI Mamoudzou, 19 mars 2019
Mémoire appel
CA Mamoudzou, 3 septembre 2019
Seconde requête aux fins de constat d’huissier
CA Mamoudzou, 4 février 2020
Pourvoi en cassation
Observations complémentaires déposées en juin 2022
Cass. civile, 14 septembre 2022
CA Saint-Denis, 3 octobre 2023

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Dernier ajout : samedi 14 octobre 2023, 13:41
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