Action collective
À Mayotte, l’administration et le juge veillent jour et nuit sur l’intérêt supérieur des enfants [1].
Le 22 mars, un enfant de 5 ans voyage seul à bord d’une embarcation en provenance de l’île voisine d’Anjouan interceptée par les forces de l’ordre ; à 3 heures du matin, la police aux frontières a déjà trouvé un passager adulte à qui rattacher artificiellement l’enfant afin de permettre son placement en rétention et son expulsion du territoire français. Dès 4 heures du matin, la préfecture prononce contre l’adulte un ordre de quitter le territoire, ce qui permet de se débarrasser de l’enfant. Une pratique courante à Mayotte.
Mais - une fois n’est pas coutume - une avocate a le temps de déposer un référé-liberté au nom de cet enfant. Et un spectacle surréaliste se met en place : le jeune D., 5 ans, est là, extrait du centre de rétention pour assister à l’audience. Le juge – miracle de la visio-conférence – apparaît sur un écran de télévision. Il ne voit apparemment rien d’anormal à interroger un petit enfant qui est seul, qui ne parle pas le français et n’a ni représentant légal ni interprète. Après un certain temps, la secrétaire du greffe entreprend de traduire certaines des questions posées par le juge à l’enfant et certaines des réponses de l’enfant. Lorsque la connexion est interrompue l’audience s’arrête puis reprend.
La préfecture a si bien vérifié l’état civil de l’enfant que son sexe change d’un document à l’autre ; l’adulte qu’elle a désigné comme son accompagnant se contredit sans cesse, mais sa parole suffit pour estimer que l’enfant pourra être accueilli à Anjouan. À l’issue de cette parodie de justice le juge des référés conclut que « dans ces circonstances, la décision du préfet [...] n’a pas méconnu les stipulations de l’article 3 de la convention internationale relative aux droits de l’enfant » (TA Mayotte, référé, 24 mars 2016).
Une décision ahurissante ! Comment, en l’absence de tout document d’identité et de toute information fiable sur ses parents, cet enfant n’a-t-il pas bénéficié de la protection au moins provisoire due aux mineurs isolés ? De quel droit l’administration attribue-t-elle la garde d’un enfant à n’importe quel adulte ? Comment, en l’absence de toute information fiable, affirmer qu’un enfant n’est pas exposé à des traitements inhumains et dégradants à son retour à Anjouan ? Quid du procès équitable ?
Pourtant, le 13 avril, le Conseil d’État a rejeté, sans juger bon de tenir audience, le recours formé contre la décision du tribunal de Mayotte, recours à l’appui duquel l’Anafé et le Gisti avaient souhaité intervenir. Selon lui, « les circonstances du litige ne révélaient aucune méconnaissance grave et manifeste des obligations qui s’imposent en la matière à l’administration, et partant, aucune atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales évoquées » (CE, ord., 13 avril 2016) [2].
On était habitué à ce que le juge local, contaminé par l’atmosphère très particulière qui règne dans ce « confetti de l’empire » où les exigences de l’État de droit n’ont guère cours, oublie qu’il est le garant de la légalité et du respect des droits fondamentaux. On était habitué également à ce que le Conseil d’État valide, à quelques exceptions près, les dévoiements de l’administration à Mayotte, systématiquement couverts par le ministère de l’intérieur.
Mais cette fois un pas supplémentaire a été franchi : tous nos repères sont perdus lorsque l’organe suprême de la juridiction administrative, qui devrait être le garant d’une justice équitable, admet sans états d’âme qu’un tribunal fasse comparaître devant lui, seul, un enfant de cinq ans et confirme, sur le fondement de son interrogatoire, son expulsion forcée. Le Conseil d’État n’a-t-il pas conscience qu’il entérine ce faisant une violence institutionnelle d’une rare brutalité ?
Signataires :
[1] « Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale » (art. 3-1 de la Convention sur les droits de l’enfant)
[2] On peut consulter les pièces de ce dossier (procès-verbaux, témoignages, requêtes et décisions) en ligne :
http://www.gisti.org/spip.php?article5325.
Envoi par le Groupe d'information et de soutien des immigré·es www.gisti.org |
Sur le Web : www.gisti.org/article5331 |
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