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Nicolas Sarkozy et les sans-papiers :
faire peur et tromper

par Nathalie Ferré
Présidente du Gisti

Article publié dans Le Monde du 24 janvier 2003.

À la question « Pourquoi des sans-papiers ? », le ministre de l'intérieur évite de répondre par l'évidence : parce qu'il ne leur délivre pas de papiers !

Dans Le Monde du 18 janvier, sous le titre « Pourquoi des sans-papiers ? », le ministre de l'intérieur évoque « ceux qui poussent la générosité jusqu'à l'irresponsabilité », les opposant à « ceux qui imaginent que la fermeture peut tenir lieu d'identité nationale ».

En renvoyant les uns et les autres dos à dos, Nicolas Sarkozy se pose en homme de l'équilibre. Il n'innove guère en adoptant cette posture : tous ses prédécesseurs ont présenté la fermeté aux frontières comme condition de l'intégration des immigrés.

À la question « Pourquoi des sans-papiers ? », le ministre de l'intérieur évite de répondre par l'évidence : parce qu'il ne leur délivre pas de papiers ! Pourquoi ne délivre-t-il pas de papiers à certains des étrangers qui vivent en France ? Parce que, selon lui, leur exil repose sur une espérance, qu'il qualifie de « folle » : l'espérance de ceux qui cherchent à fuir la misère ou les persécutions.

M. Sarkozy y oppose implicitement le fameux « On ne peut accueillir toute la misère du monde », agrémenté de la promesse d'améliorer l'aide au développement (tous les ministres de l'intérieur, depuis Charles Pasqua, ont agité ce hochet) et de l'inévitable reproche aux étudiants étrangers qui cherchent à rester en France « aux dépens des intérêts de – leur – pays ».

On notera la manipulation des chiffres (addition malhonnête, pour faire peur, de requérants de différents asiles, qui sont souvent les mêmes ; en matière de délivrance de visas, choix d'années de référence de bas étiage pour prouver une dérive laxiste imaginaire).

Il faut beaucoup tricher avec la réalité pour camper sur l'apparence du juste milieu...

En septembre 2002, confronté à son tour aux revendications des sans-papiers, le ministre de l'intérieur avait demandé aux préfets de réexaminer « avec humanité » un certain nombre de dossiers.

Refusant de procéder à une de ces opérations de régularisation dites « globales » (mais qui ne le sont jamais) pratiquées par les gouvernements précédents, et dont il juge qu'elles n'ont « rien résolu », il avait toutefois admis que certaines situations méritaient de faire l'objet d'un examen bienveillant.

Trois mois plus tard, une circulaire a été adressée aux préfets, destinée à « harmoniser la délivrance des titres de séjour ». Pas de surprise : pour l'essentiel, elle ne fait rien d'autre que demander aux préfets de bien vouloir... appliquer la loi ! Elle reprend une conception restrictive de la vie familiale et des critères étroits pour apprécier de la présence habituelle d'un étranger sur le territoire français.

Mais rien, dans ce rappel, qui permette d'espérer que l'arbitraire et les inégalités de traitement d'une préfecture à l'autre seront remis en cause. Comment s'en étonner ? Le dogme de la fermeture des frontières, vieux de plus de trente ans, a aussi fermé les esprits. On ne peut en effet à la fois dénoncer les flux migratoires comme une atteinte aux intérêts de la France et inviter les préfectures à se comporter avec une bienveillance minimale à l'égard d'une fraction des migrants.

Là où la circulaire innove, elle ne fait que susciter des inquiétudes supplémentaires. L'expression « détournement de procédure » y est abondamment employée à propos du regroupement familial quand il n'est que la mise en œuvre d'un droit notamment garanti par la Convention européenne des droits de l'homme, ou à propos de « dérives graves » dans l'attribution des titres de séjour aux étrangers malades, alors que les critères médicaux sont appréciés par des médecins de l'administration.

La même obsession de la fraude imprègne le projet de réforme de la loi sur l'asile. Mais, surtout, le ministre de l'intérieur fait comme s'il était possible de distinguer quels exils relèvent de la migration contrainte en quête de protection ou de la migration choisie, lorsque la réalité se situe entre les deux.

L'exemple de Sangatte est parlant : les « clandestins »  — que, pendant trois ans, on n'a pas osé renvoyer dans leur pays — sont devenus des « réfugiés » à l'automne. Leur accueil en Angleterre comme « travailleurs » n'a paradoxalement été négocié avec les autorités britanniques qu'à condition qu'ils n'y demandent pas l'asile... Et l'on voudrait nous faire croire qu'il est simple de décider d'un coup de tampon qui est « vrai » ou « faux » réfugié ?

Autre supercherie : quand le ministre de l'intérieur invoque l'Europe dans sa tribune du Monde, il affirme qu'elle est un atout et non un handicap. Mais il la décrit essentiellement comme un champ de collaboration policière, sans expliquer comment l'inefficacité de la répression de l'immigration irrégulière en France pourrait se muer en efficacité au niveau de l'Europe.

Nicolas Sarkozy glisse pudiquement sur le souci primordial des États-membres de préserver leurs prérogatives nationales, qui paralyse, depuis le traité d'Amsterdam, toute réelle « communautarisation ».

N'est-il d'ailleurs pas étrange que, dans l'Union européenne, les ministres de l'intérieur aient mis la main sur la question des migrations ? N'y a-t-il pas derrière ce choix la croyance que la planète tout entière devrait se plier aux intérêts particuliers de l'Europe ?

Que la valeur théoriquement universelle de l'égalité des êtres humains passerait après la défense du « pré carré » ?

Que le droit international devrait se soumettre aux droits nationaux ?

Que la notion d'« humanité » appartiendrait à la mythologie des temps modernes ?

Cette vision du monde qui s'arrête à leurs frontières explique l'incapacité des gouvernements à adopter des politiques migratoires tant soit peu réalistes. Ainsi, l'expulsion de tous les « indésirables » est une vue de l'esprit, sauf à rêver à l'instauration d'un État policier.

La logique de État de droit voudrait que, lorsqu'on constate l'inadaptation des textes, on décide de les modifier, non de perpétuer l'arbitraire.

La logique d'une Europe « responsable » serait de prendre en compte les réalités de la planète et de chercher les moyens d'y apporter une réponse juste et viable.

Mais, comme tous ses prédécesseurs, Nicolas Sarkozy n'a visiblement pas pour but de contribuer aux prises de conscience nécessaires en France et en Europe. Il se contente de faire peur et de tromper l'opinion.

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Dernière mise à jour : 16-05-2003 10:56 .
Cette page : https://www.gisti.org/doc/presse/2003/ferre/sarkozy.html


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