Missions dans la Caraïbe et à Mayotte

I. Caraïbe

La Guyane paie au prix fort une histoire difficile à assumer : une colonisation marquée par quelques aventures improvisées vers un Eldorado illusoire, par l’esclavage et par le bagne [1]. Lorsque, en 1946, la Guyane est devenue département français, elle comptait moins de 29 000 habitants, une dizaine de milliers de moins que dix ans avant. Les bagnards avaient cessé d’arriver en 1938 et les bagnes étaient fermés depuis 1944. L’immigration était indispensable à la survie de la Guyane ; vingt ans plus tard, la main-d’oeuvre latino-américaine le fut encore plus pour la construction de la base spatiale de Kourou.

Ainsi, la Guyane est-elle une mosaïque exceptionnelle. Les populations dont les ancêtres étaient présents depuis des siècles ou des années avant 1946 : Amérindiens, Bushinengués (« nègres marrons » venus du Surinam), Créoles, Chinois (qui règnent sur le petit commerce et une part de la restauration), Syro-libanais, … Des immigrés nombreux, haïtiens, latino-américains (surinamiens, guyaniens, brésiliens, péruviens et colombiens), des asiatiques (chinois, hmongs du nord du Laos arrivés dans les années 70 et maîtres de la culture maraîchère basée sur les communes de Cacao et Javouhey). Des Français de l’hexagone [2] parfois établis en Guyane, le plus souvent détachés pour une période de quelques années.

On évalue maintenant la population à 200 000 habitants ; 50 % de la population a moins de 25 ans. La population de la Guyane reste très faible à l’échelle de sa superficie (égale à celle du Portugal), mais c’est une croissance rapide et une modification profonde de la société propices à la xénophobie. Alors que la croissance démographique s’est ralentie au cours des dernières années, l’immigration en Guyane est devenue l’un des symboles nationaux des « flux migratoires » présumés menaçants. Après les plaies de l’histoire, la Guyane serait-elle condamnée à de nouvelles plaies dont l’immigration serait porteuse : drogues, délinquance, sida [3], dengue [4]… ?

Le Plan vert de 1977, qui a échoué, a-t-il enterré avec lui toute perspective de peuplement et de développement agricole des terres guyanaises ? Comme tous les territoires ultramarins, la Guyane vit sous perfusion issue de la métropole : le rapport des exportations aux importations en Guyane en 2004 était de 13,5 % [5]. Il est difficile de percevoir actuellement un projet économique et social qui prendrait en compte une immigration incontournable. Un développement de relations positives avec les Etats voisins peut-il progressivement substituer la réaction défensive d’une société fragile face à ses peurs ?

Malgré ses difficultés économiques et sociales, vaille que vaille, la société civile guyanaise se structure selon les lois de la république française. Par rapport à nos premiers contacts avec la Guyane, nous avons été heureux de constater l’élargissement d’un tissu de travailleurs sociaux, d’avocats ou de membres d’associations qui prennent en compte les droits des migrants. La violence institutionnelle constatée à cette époque est mieux endiguée. Mais la violence des rafles et des reconduites rapides d’étrangers, attisée par un discours étatique focalisé sur la lutte contre l’immigration clandestine, règne. Et, après Mayotte, la Guyane est en tête des « performances » des territoires français en matière de reconduite à la frontière.

« Outre-mer, autre droit » titrait la revue Plein droit de septembre 1999. La Constitution autorise en effet des exceptions guyanaises importantes notamment au droit des étrangers [6]. Et, dans ce domaine, les multiples petites « dérogations guyanaises » fleurissent encore ; nous ne mentionnerons que celles sur lesquelles nous avons eu un faisceau de témoignages concordants à défaut de preuves.

A la suite d’une mission commune d’observation sur la situation des étrangers à Saint-Martin — arrondissement de la Guadeloupe —, et en Guyane, organisée du 2 au 12 décembre 1995, sept associations et syndicats [7] constatent que, dans ces deux territoires français, l’Etat de droit n’est pas respecté à l’égard des immigrés. Qu’il s’agisse des conditions de logements, du respect de l’inviolabilité du domicile, du droit du travail, du droit à la scolarisation, du droit à la santé, de la législation sur le séjour, l’administration agit le plus souvent en marge de la réglementation en vigueur et sans le moindre respect pour la dignité humaine des étrangers.

A Saint-Martin, un « cyclone administratif » a succédé au cyclone naturel Luis qui a frappé l’île les 5 et 6 septembre 1995. Profitant de cette circonstance qualifiée par le sous-préfet d’« opportunité », la mairie a rasé des centaines de maisons d’étrangers, avec l’appui de la gendarmerie, en toute illégalité. Le tribunal de grande instance de Basse-Terre vient d’ailleurs de confirmer, le 5 mars, qu’il s’agissait bien d’une violation flagrante du droit. Ce « paradis touristique » français s’adonne en toute impunité à une surexploitation économique des immigrés qui dépasse tout ce qu’on peut imaginer dans ce domaine.

En Guyane, où se déroule comme une « guerre de basse intensité » à leur encontre, plusieurs milliers d’étrangers et de Noirs marrons français vivent dans des bidonvilles dignes des pays les moins avancés. Police et gendarmerie défoncent quotidiennement les portes de leur domicile pour procéder à des contrôles d’identité pour le moins attentatoires à leurs libertés et à leur dignité. Dans ce département qui, à lui seul, a rapatrié de force 15 000 étrangers en 1995 alors que la métropole dépasse à peine les 10 000, le travail au noir est imposé aux immigrés depuis fort longtemps sans que les administrations compétentes engagent un effort sérieux de répression des employeurs.

Face à la gravité de cette situation à Saint-Martin et en Guyane, le rapport se conclut en demandant « Mais où est donc passé l’Etat de droit » ?

II. Mayotte

  • Mom, rapport sur la situation juridique des étrangers à Mayotte , novembre 2007

Notes

[1Serge Sam Mam Lam Fouck, Histoire générale de la Guyane, Ibis rouge édition, 1996

[2L’expression « la France de l’hexagone » n’est pas utilisée en Guyane ; on se réfère plutôt à la « la métropole » ainsi que, tout simplement, à « la France ». Nous avons choisi de privilégier le terme d’ « hexagone » dépourvu de connotations politiques.

[3La Guyane est le département français le plus touché par le sida. Données précises sur ce point et sur la santé publique dans : Direction de la santé et du développement sociale et préfecture de Guyane. Plan régional de le santé publique 2006-2008 – Guyane, projet soumis à l’avis de la conférence régionale de santé, 4ème trimestre 2005
 Pour une étude très complète concernant l’est de la Guyane : Frédéric Bourdier, Migration et sida en Amazonie française et brésilienne, Ibis rouge éditions, mai 2004.

[4Inspection générale des affaires sociales, rapport n° RM2006-130P, l’épidémie de dengue survenue en 2006 en Guyane, septembre 2006.

[5Les données antérieures viennent de La France et ses outre-mer, la documentation française, mars 2006. Voir aussi : www.iedom.fr

[6Article 73 de la constitution de 1958. - Dans les départements et les régions d’outre-mer, les lois et règlements sont applicables de plein droit. Ils peuvent faire l’objet d’adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités.

[7Asosyasion Solidarite Karaïb (ASSOKA), Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD), Groupe d’information et de soutien des immigrés (GISTI), Magistrats européens pour la démocratie et les libertés (MEDEL), Service oecuménique d’entraide (CIMADE), Syndicat des avocats de France (SAF), Syndicat de la magistrature (SM)

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Dernier ajout : lundi 3 septembre 2012, 20:23
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