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Guide de l'entrée et du séjour des étrangers en France
Introduction (2/2)
Le réveil des « sans-papiers »Les mouvements de « sans-papiers » qui se sont multipliés à partir de mars 1996 ont fait apparaître les impasses d'une politique d'immigration fondée sur le « tout répressif » et l'irréalisme de l'objectif « immigration zéro », même corrigé en « immigration clandestine zéro ». En prévoyant d'accorder à certaines catégories d'étrangers – celles que la loi Pasqua avait privées de l'accès à la carte de résident – une carte de séjour temporaire, la « loi Debré » du 24 avril 1997 prenait acte de l'impossibilité d'appliquer strictement les textes adoptés quatre ans plus tôt. Mais l'essentiel des dispositions de la loi Debré avait une portée répressive : confiscation du passeport des étrangers en situation irrégulière, mémorisation des empreintes digitales des étrangers qui sollicitent un titre de séjour, accroissement des pouvoirs de contrôle de la police, restriction des pouvoirs du juge en matière de rétention, d'un côté ; possibilités nouvelles données à l'administration de retirer un titre ou de refuser son renouvellement, suppression des garanties de procédure, de l'autre. Le gouvernement avait dû renoncer en revanche, sous la pression d'une opinion brusquement réveillée, à l'une des dispositions du projet de loi qui était pourtant le plus ardemment réclamée par les membres de sa majorité : celle qui visait à contrôler plus étroitement les personnes, françaises ou étrangères, hébergeant des visiteurs étrangers et à les « responsabiliser » en les obligeant à déclarer le départ de ces visiteurs de leur domicile. L'émotion qui, en février 1997, s'est emparée de larges couches de la population, n'a probablement pas été étrangère à la défaite de la droite aux élections législatives de mai-juin 1997. Le gouvernement de gauche porté au pouvoir par cette défaite, tout en apportant certains assouplissements à la législation en vigueur, a pourtant choisi de laisser subsister un grand nombre des dispositions contestées des lois qui l'ont précédé : les lois Pasqua de 1993 et Debré de 1997. Certes, la loi Chevènement a supprimé le certificat d'hébergement et créé une carte « vie privée et familiale » pour ceux qui ont des attaches en France sans remplir les conditions d'obtention d'une carte de résident ; elle a allégé le nombre et la densité des contrôles pour les étrangers dont l'intérêt personnel coïncide avec les intérêts de la France : investisseurs, intellectuels, chercheurs, boursiers du gouvernement français, artistes... ; enfin, elle a officialisé l'« asile territorial », pour les étrangers qui ont besoin de protection mais ne remplissent pas les critères de la Convention de Genève. Elle n'a pas rompu pour autant avec la logique qui prévalait antérieurement : si la loi a ouvert plus largement la porte à des régularisations, c'est en consacrant la précarité de la situation des étrangers ainsi régularisés, qui n'obtiennent qu'une carte temporaire ; la « double peine » n'a pas été remise en cause, pas plus que beaucoup des dispositions jugées scélérates de la loi Debré (mémorisation des empreintes digitales ou confiscation des passeports notamment) ; et la durée maximum de la rétention a été portée de dix jours à douze jours. De Chevènement à Sarkozy ILa loi Chevènement avait été présentée comme un texte d'équilibre, susceptible de recueillir un consensus et destiné par conséquent à durer. On a pu le croire un instant, car le gouvernement issu des élections de mai-juin 2002 n'a pas immédiatement annoncé, comme il était devenu rituel à chaque alternance, de modification de l'ordonnance de 1945. C'est en octobre 2002 qu'il a été pour la première fois question de réformer la législation existante – dans un sens libéral au demeurant, lorsque le ministre de l'Intérieur, Nicolas Sarkozy, a annoncé sa volonté d'assouplir le régime de la « double peine » ; et c'est en février 2003 seulement que la presse a dévoilé l'existence d'un avant-projet de loi destinée à réformer – cette fois dans le sens d'une sévérité accrue – l'ordonnance de 1945. Il est vrai que la question de l'immigration avait déjà fait irruption dans les débats sur la loi pour la sécurité intérieure (LSI), notamment à propos de la prostitution et de la faculté donnée aux préfets de retirer leur titre de séjour aux auteurs des nouvelles infractions créées par la loi (mendicité agressive, racolage passif, etc.). Définitivement adoptée le 28 octobre, après une seule lecture dans chaque assemblée, le gouvernement ayant déclaré l'urgence, la « loi relative à la maîtrise de l'immigration et au séjour des étrangers en France » a été promulguée le 26 novembre 2003. Le premier objectif de la réforme mis en avant par son promoteur est de « mettre fin à l'incapacité de l'État à maîtriser les flux migratoires ». Ceci suppose de renforcer le dispositif répressif (ainsi, par exemple, la durée maximum de la rétention administrative passe de douze à trente-deux jours, le fichage des demandeurs de visas ou de titres de séjour est généralisé, les sanctions du séjour ou du travail irréguliers sont aggravées), mais aussi de traquer la fraude partout où elle peut surgir. Parmi les mesures les plus symptomatiques de cette obsession de la fraude figurent la volonté de faire échec aux « paternités de complaisance » (les parents d'enfants français sont désormais privés de l'accès direct à la carte de résident), le contrôle accru sur le mariage des étrangers, ou encore le nouveau régime des attestations d'accueil qui reprend plusieurs des dispositions qui figuraient dans le projet Debré de 1997 et finalement abandonnées parce qu'elles avaient fait descendre cent mille personnes dans la rue. La réforme est aussi placée – ce qui est plus nouveau – sous le signe de la lutte contre le communautarisme. Dans ce contexte, la thématique de l'intégration, omniprésente, a des effets ambivalents. Elle justifie la réforme de la « double peine », que ne doivent plus subir ceux qui ont construit leur vie en France ; mais, outre que les modifications apportées au régime de l'expulsion et de l'interdiction du territoire français ont une portée bien plus limitée qu'on n'a voulu le faire croire, il a suffi que le gouvernement soit désavoué par le juge administratif à propos d'une affaire très médiatisée[1] pour que, dans les deux mois, une proposition de loi soit déposée puis votée par le Parlement, élargissant les possibilités d'expulsion, ce qui montre la fragilité des quelques acquis obtenus. L'intégration entraîne aussi une précarisation de la condition des étrangers, dès lors que l'accès à des titres de séjour de longue durée est subordonné à des gages préalables d'intégration – d'une « intégration républicaine dans la société française », est-il même précisé. Autre point saillant de la réforme : le renforcement sensible des pouvoirs des maires, compétents pour contrôler les attestations d'accueil, vérifier les conditions de logement et de ressources pour le regroupement familial, contrôler les mariages en tant qu'officiers d'état civil, et associés à la délivrance des titres de séjour puisqu'un de leurs représentants siège désormais dans les commissions du titre de séjour et qu'ils peuvent être consultés pour apprécier la condition d'intégration. Enfin, la loi reflète le souci de l'harmonisation communautaire, ce qui est logique, puisque, depuis l'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam en 1999, la politique d'immigration et d'asile a cessé de relever de la seule compétence des États membres, qui doivent donc respecter et transposer dans leur droit interne les normes élaborées à quinze et bientôt à vingt-cinq. Témoin de l'influence du droit communautaire la suppression pour les ressortissants des États membres de l'obligation de détenir un titre de séjour, la mémorisation des photographies et des empreintes digitales des étrangers qui sollicitent un titre de séjour ou un visa (tandis qu'on discute à Bruxelles d'un règlement communautaire visant à introduire des éléments d'identification biométriques dans les documents de séjour et de voyage des étrangers) ou encore le passage de trois à cinq ans du délai pour obtenir une carte de résident et la subordination de son obtention à un critère d'intégration... Et Sarkozy IIParallèlement, dans le cadre de l'entreprise générale de codification entreprise depuis une quinzaine d'années, le Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) a remplacé, à droit constant, l'ordonnance du 2 novembre 1945. C'est donc ce Code qui vient d'être modifié par la loi du 24 juillet 2006 dont le ministre de l'Intérieur, surtout animé par son ambition personnelle, a été le grand artisan. Il ne s'agit pas d'une réforme de plus : adoptée là encore dans le cadre d'une procédure d'urgence que rien ne justifiait, la loi nouvelle officialise une sélection des étrangers en fonction de l'intérêt qu'ils représentent pour la France et désigne comme « immigration subie » celle qui est pourtant garantie par les droits fondamentaux (droit de mener une vie familiale normale, respect de la vie privée...). L'idée est la suivante : trop de gens indésirables entrent en France et obtiennent un titre de séjour, alors que les étrangers utiles ne viennent plus et cherchent d'autres pays d'accueil. Parmi les « indésirables » figurent les étrangers qui résident de fait depuis plus de dix ans en France, les conjoints de Français ou encore les membres de famille candidats au regroupement familial. Si le texte finalement adopté a été assoupli sur certains points grâce au travail du Sénat, la réforme a bien pour objet et pour effet de perpétuer des situations d'irrégularité et de maintenir sous statut précaire des étrangers qui ont vocation à rester durablement en France. Le dispositif prévalant au titre de « l'immigration choisie » aura lui aussi pour effet de fabriquer de nouveaux cas de sans papiers ou au mieux de cantonner les personnes élues à une carte dont la mention « travailleur temporaire » signifie clairement instabilité et précarité. Quant à la grande innovation de la réforme, la carte « compétences et talents », elle ne sera délivrée qu'à une poignée d'individus admis à résider en France par le ministre de l'Intérieur lui-même. La réforme intervient dans un climat qui s'est considérablement durci à l'égard des étrangers : aux pratiques préfectorales impitoyables s'ajoutent des opérations de police d'ampleur croissante, en marge de l'esprit et des prescriptions du Code de procédure pénale qui régissent les interpellations et les contrôles d'identité. Car les instructions données à l'administration sont avant tout de « faire du chiffre » et d'accroître le taux d'exécution des reconduites à la frontière, érigé en test de l'efficacité de la politique gouvernementale. Devant la mobilisation suscitée par ces pratiques, notamment dans le cadre du collectif « Uni(e)s contre une immigration jetable » créé pour faire prendre conscience à l'opinion des conséquences de la nouvelle législation et du Réseau Éducation sans frontières qui se bat pour le droit à l'école des enfants de sans papiers et la régularisation des familles, le ministre de l'Intérieur a adressé aux préfets, en juin 2006, une circulaire les invitant à (ré)examiner la situation des parents dont les enfants sont scolarisés. Mais les critères qu'elle met en avant sont si flous et si arbitraires que cette offre de régularisation risque de se révéler un piège pour la majorité des familles qui ne l'obtiendront pas et sont ainsi menacées d'un départ forcé à bref délai. On a là un avant-goût de la façon dont seront traitées les demandes d'« admission exceptionnelle au séjour » pour raisons humanitaires prévue par la loi Sarkozy II et, plus généralement, de la façon dont s'opérera le tri régalien des étrangers « subis » qui n'auront plus de droits à faire valoir face à l'administration et livrés plus encore qu'avant au bon plaisir des préfectures. * * * De cette histoire mouvementée de l'ordonnance du 2 novembre 1945 – et aujourd'hui du Ceseda – résulte une réglementation de plus en plus répressive, mais aussi de plus en plus complexe. Ce Guide ne peut pas, dans les limites qui sont les siennes, fournir les réponses à toutes les questions que rencontrent les étrangers et ceux qui les conseillent. Son objectif est plus modeste mais néanmoins ambitieux : il vise, grâce à une présentation logique et ordonnée de la réglementation, à fournir un certain nombre de cadres permettant de s'orienter dans le maquis des textes, de mieux comprendre les pratiques administratives, de savoir repérer celles qui sont manifestement illégales, et le cas échéant de pouvoir les contester en justice.
Notes[1] Il s'agissait de l'imam de Vénissieux, installé en France depuis plus de vingt ans, donc protégé contre la « double peine », et qui avait néanmoins fait l'objet d'une mesure d'expulsion après avoir donné, en juin 2004, à un quotidien lyonnais une interview dans laquelle il justifiait le droit pour un mari de battre sa femme adultère : son expulsion en urgence absolue avait été suspendue par le tribunal administratif avant d'être finalement validée par le Conseil d'État.
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Dernière mise à jour :
28-11-2006 11:54
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