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Plein Droit
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Plein Droit
n° 15-16, novembre 1991 Urgence absolueL'article 26 de l'ordonnance du 2 novembre
1945 modifiée, qui autorise l'expulsion d'un étranger
sans aucune garantie procédurale constitue un régime d'exception :
il oppose la nécessité d'éloigner sans délai
un « individu éminemment dangereux » au respect
des libertés individuelles. Compte tenu des atteintes portées
à des droits fondamentaux, comme celui d'être défendu,
le juge administratif se trouve investi d'un rôle de contrôle
plein et entier des conditions de légalité des arrêts
d'expulsion pris en urgence absolue. En examinant de près la jurisprudence concernant les arrêtés pris en urgence absolue, on s'aperçoit que cette « dérogation » a surtout été utilisée pour expulser, dans les délais les plus courts possibles, les étrangers condamnés à de lourdes peines, notamment les trafiquants de drogue, pour des motifs tenant à la gravité des faits et non à l'urgence, condition pourtant requise par les textes de loi. Paradoxalement, les étrangers, peu nombreux, accusés à la légère d'être des terroristes et qui ont été expulsés par la voie de l'urgence absolue, ont pu obtenir l'annulation, par le Conseil d'Etat, de leur arrêté ministériel d'expulsion. Ce désaveu par la plus haute juridiction administrative témoigne, s'il en était besoin, du caractère opportuniste de l'utilisation qui est faite d'un tel texte. La notion d'urgence absolue n'est apparue en droit français que dans l'ordonnance du 2 novembre 1945. Jusqu'à cette période troublée, on parle d'urgence circonstancielle, formule tendant à créer un « Etat de légalité élargie », selon les propres termes de J. Rivéro (« Le juge administratif, un juge qui gouverne » D 1951 p. 21). A l'article 25 de l'ordonnance apparaît en effet la notion d'urgence absolue, mais sans autre précision sur son contenu. Cette procédure supprime la comparution devant la commission spéciale d'expulsion. Il faut attendre la loi du 29 octobre 1981 pour que des précisions soient données sur cette notion au contenu vague et à l'application tentaculaire. L'expulsion en urgence absolue ne devient possible qu'à la condition qu'elle « constitue une nécessité impérieuse pour la sûreté de l'Etat ou pour la sécurité publique » (actuel article 26 de l'ordonnance). Mais elle permet d'échapper à l'obligation de motivation, telle qu'elle résulte de la loi du 11 juillet 1979 : l'administration peut donc expulser par cette voie, sans avoir besoin ni de respecter une quelconque procédure, ni de donner les motifs de la décision d'éloignement... et sans risquer de voir cette décision censurée pour illégalité. De surcroît, la définition même de la nécessité impérieuse est totalement subjective. Lors de discussions parlementaires, Nicole Questiaux, alors ministre des Affaires sociales, précisait que cette dérogation par rapport à la procédure normale ne concernerait que « le cas isolé de l'espion, de l'homme véritablement dangereux... » (Débat Ass. Nat. 30 septembre 81). Les situations d'exception furent rapidement étendues aux trafiquants de drogue (circulaire du 31 août 82). Et de fait, dès son entrée en vigueur, la procédure exceptionnelle fut largement utilisée par le ministère de l'Intérieur à l'encontre d'étrangers considérés comme indésirables en France. Elle a donné lieu par ailleurs à quelques dérapages, le ministère utilisant cette procédure dérogatoire pour contourner l'interdiction d'éloigner du territoire certaines catégories d'étrangers. Une « nécessité impérieuse »M. Abduk Hadi Ali, opposant irakien, est interpellé au cours d'une rafle. Il se voit aussitôt notifier un arrêté d'expulsion : « Vu les renseignements recueillis sur les activités du nommé A..., la présence sur le territoire français de cet étranger constitue une menace grave pour la sûreté de l'Etat (...) son expulsion constitue une impérieuse nécessité (...) ». L'arrêté fait l'objet d'un recours pour excès de pouvoir, fondé sur deux motifs : l'erreur manifeste d'appréciation, en estimant que l'éloignement constituait une nécessité impérieuse pour la sûreté de l'Etat, et le détournement de procédure en utilisant l'urgence absolue pour ne pas avoir à satisfaire aux articles 23 à 25 de l'ordonnance qui organisent la procédure normale d'expulsion, alors que le ministère en avait le temps et les moyens. Dans son mémoire, déposé devant le tribunal administratif de Paris, le ministère de l'Intérieur s'explique : « Compte tenu de l'extrême gravité des agissements reprochés à cet étranger et des dangers particuliers que son maintien prolonté sur le territoire français faisait peser sur la sécurité des personnes et des biens, le recours à l'article 26 de l'ordonnance de 1945 est parfaitement fondé ». « Il convient de rappeler que le caractère d'urgence absolue exigé s'apprécie tant au regard de la situation de l'intéressé au moment de la procédure d'expulsion, qu'au regard des dangers particuliers que son maintien prolongé sur le territoire fait peser sur la sécurité publique ». « De surcroît, l'impérieuse nécessité de procéder à l'expulsion de cet étranger au regard de la sécurité de l'Etat ne saurait être sérieusement contestée ». Malgré la faiblesse de l'argumentation ministérielle, le tribunal administratif justifie le recours à l'urgence absolue : l'article 4 de la loi du 11 juillet 79 sur la motivation des actes administratifs exclut de cette façon les arrêtés d'expulsion pris en vertu de l'article 26 de l'ordonnance. Or, si, effectivement, une décision prise en urgence absolue peut ne pas être motivée, cela ne dispense pas l'administration de s'en expliquer dans le cadre d'un contentieux devant une juridiction. L'administration doit alors motiver en droit et en fait. Le Conseil d'Etat a en effet reconnu que la notion d'urgence absolue n'était pas incompatible avec l'obligation de motivation (CE Albina 18 /01/88 CE Belaari 24/07/81...). Aucun fait précis n'est relevé et établi à l'encontre du ressortissant irakien. On invoque « des relations suivies avec l'un des principaux représentants du service de renseignements iraniens à Paris » et la fréquentation « d'un foyer chiite du Kremlin-Bicêtre ». Par ailleurs, il est suspecté d'avoir « joué un rôle non négligeable dans un trafic de passeports irakiens falsifiés, destinés à être utilisés à des fins terroristes »... « Ces deux activités constituent, à l'évidence, une atteinte à la sûreté de l'Etat et à la sécurité publique ». Le Conseil d'Etat confirme le jugement du tribunal administratif : « Il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il (le ministre) se soit fondé sur des faits matériellement inexacts, que dès lors, et eu égard à la gravité de la situation résultant de cette vague de terrorisme, le ministre n'a pas commis d'erreur d'appréciation (...) ». Or, il se trouve que M. A a la qualité de réfugié politique. Si ce statut ne le protège ni d'une expulsion normale, encore moins d'une expulsion prise en urgence absolue, la commission des recours des réfugiés doit, conformément à la loi du 25 juillet 1952, émettre un avis sur l'opportunité d'éloigner un individu qui a obtenu la protection de l'Etat français. Cette dernière ayant rendu un avis défavorable au départ forcé, M. A fut assigné à résidence... jusqu'à l'abrogation de son arrêté. Dans le même temps, les tribunaux administratifs de Versailles et de Caen adoptaient une position inverse de celle de la juridiction de Paris pour des faits tout à fait comparables (TA Caen 20/06/86 Kair al Din). Quel est le contrôle exercé par le juge ? Quelles sont ses exigences par rapport au critère de l'urgence ? Le Conseil d'Etat fait parfois preuve de souplesse pour apprécier si le ministère était pressé par le temps pour expulser une personne, à défaut de mettre en danger la sûreté de l'Etat ou la sécurité publique. Il a reconnu, par exemple, que la condition de temps était satisfaite pour expulser des étrangers condamnés à de lourdes peines, alors même qu'ils étaient encore en prison pour des mois (CE Intérieur c/ Allaf : ce ressortissant algérien avait été condamné à six ans d'emprisonnement et à l'interdiction du territoire français). Cette jurisprudence ne signifie pas pour autant qu'une sortie de prison imminente suffise à satisfaire les juges, la haute juridiction ayant même adopté la position contraire. Il reconnaît cependant à cette condition une place nécessaire et déterminante : « l'urgence absolue ne peut être légalement motivée que par les circonstances de temps et non par la gravité des faits ». (CE 25/02/85 Mourad Mersad) Dans l'affaire Di Vincezo (CE 30 /11/84), la décision du ministre est censurée car les faits reprochés à l'intéressé, au sein d'une organisation terroriste basque, remontent à plus de dix ans et que depuis, les liens avec cette organisation se sont distendus. Une menace
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