|
|||||||||
| |||||||||
Plein Droit
Numéros Index En ligne Cahiers Notes juridiques Guides Notes pratiques Hors-collection Commandes Archives Photocopillage
|
Plein Droit
n° 15-16, novembre 1991 Expulsions :
|
Année |
Total |
dont article 26 |
---|---|---|
1975 |
3715 |
0 |
1976 |
4450 |
0 |
1977 |
5330 |
0 |
1978 |
4654 |
0 |
1979 |
4790 |
0 |
1980 |
3777 |
0 |
1981 |
1465 |
0 |
1982 |
443 |
72 |
1983 |
1204 |
204 |
1984 |
834 |
138 |
1985 |
709 |
82 |
1986 |
848 |
181 |
1987 |
1746 |
366 |
1988 |
1235 |
51 |
1989 |
565 |
28 |
1990 |
383 |
101 |
Avant l'arrivée de la gauche au pouvoir, c'est à dire avant 1981, le nombre total d'expulsions était extrêmement élevé, de plusieurs milliers par an, le chiffre record étant atteint en 1977, avec 5 330 expulsions prononcées. Ce nombre baisse ensuite considérablement, ce qui s'explique par les modifications apportées à la législation : la loi du 29 octobre 1981 subordonne l'expulsion à une condamnation pénale d'un an de prison ferme minimum, et interdit par ailleurs d'expulser les mineurs ou les étrangers ayant des attaches personnelles ou familiales en France conditions qui disparaissent toutefois en cas d'urgence absolue, lorsqu'est en jeu la sûreté de l'Etat ou la sécurité publique (article 26 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée).
C'est ainsi qu'en 1982 le nombre total d'expulsions n'est plus que de 443 (dont 72 selon la procédure d'urgence absolue). Il remonte toutefois, pour des raisons que l'on ne connaît pas, en 1983 (1 204, dont 204 selon la procédure d'urgence absolue), pour se stabiliser ensuite autour de 800 expulsions par an.
Le retour de la droite au pouvoir et l'adoption de la loi du 9 septembre 1986 (loi Pasqua), se traduisent par une nette remontée du chiffre des expulsions : d'une part, en effet, le butoir de l'année de prison ferme est supprimé, tandis que de l'autre la protection accordée à certaines catégories d'étrangers ne joue plus dès l'instant où ils ont été condamnés à des peines dont le total est supérieur à six mois de prison ferme ou un an avec sursis. En 1987, on atteint ainsi le chiffre de 1 746 expulsions, dont 366 (chiffre record) prononcées sur le fondement de l'article 26. Et la tendance se confirme l'année suivante puisque l'on compte 1 000 expulsions au cours des six premiers mois de 1988.
L'arrivée du gouvernement Rocard se traduit immédiatement par un ralentissement très net des expulsions (234 expulsions en six mois), bien qu'il faille attendre le vote de la loi du 2 août 1989 pour que soit rétabli le régime en vigueur entre 1981 et 1986. Le nombre d'expulsions prononcées ne dépasse plus désormais quelques centaines : 565 en 1989, 383 en 1990, soit dix fois moins que sous le septennat giscardien.
Nous disposons également de renseignements statistiques concernant les motifs des mesures d'expulsion prononcées en 1990, et les personnes qu'elles visent.
Proxénétisme
|
9
|
Stupéfiants
|
64
|
Homicide ou tentative d'homicide
|
21
|
Coups et blessures volontaires
|
10
|
Viols et attentat aux moeurs
|
25
|
Vols qualifiés et vols
|
118
|
Escroquerie
|
7
|
Faux et usage de faux
|
22
|
Dégradation volontaire de biens immobiliers
|
1
|
Infraction à la législation
sur les étrangers
|
4
|
Séjour irrégulier ( ?)
|
1 (il s'agit sans doute d'une erreur...)
|
Si l'on met à part les 29 Irakiens, sur lesquels nous n'avons
aucun renseignement, on constate en premier lieu que la quasi-totalité
des 72 autres personnes expulsées résidait en France depuis
plus de 10 ans, et souvent beaucoup plus :
nées en France* |
12 |
entrées en France avant l'âge de 10 ans . |
24 |
en France depuis plus de 30 ans |
7 |
en France depuis plus de 25 ans et moins de 30 ans |
10 |
en France depuis plus de 20 ans et moins de 25 ans |
17 |
en France depuis plus de 15 ans et moins de 20 ans |
14 |
en France depuis plus de 10 ans et moins de 15 ans |
6 |
en France depuis dix ans ou moins |
6 |
* Il s'agit de personnes d'origine algérienne nées en France avant 1962 et ayant acquis la nationalité algérienne lors de l'indépendance.
Toutes ces personnes, à part les six dernières, étaient donc en principe protégées contre l'expulsion, et ne pouvaient être expulsées selon la procédure normale. Parmi les six personnes entrées en France après 1980, une avait commis un homicide volontaire mais, n'ayant pas fait l'objet d'une condamnation en raison de son état de santé mentale, elle ne pouvait être expulsée selon la procédure normale (qui suppose que l'intéressé ait été condamné à une peine d'un an ferme au moins) ; une autre encore était un terroriste basque qui n'avait fait l'objet lui non plus d'aucune condamnation, et dont l'expulsion a ultérieurement été convertie en assignation à résidence ; deux autres avaient été condamnées pour trafic d'héroïne ; dans les deux derniers cas, les raisons pour lesquelles la procédure d'urgence absolue a été utilisée n'apparaissent pas clairement si l'on se réfère à la nature des délits commis (vols et violences avec arme dans un cas, attentat à la pudeur avec violence puni de deux ans de prison dans l'autre).
Au total, par conséquent, il apparaît que l'on n'utilise pratiquement pas la procédure dérogatoire à l'égard des étrangers à l'encontre desquels ont peut utiliser la procédure normale, quelle que soit la gravité des délits ou des crimes qu'ils ont commis, ou encore, inversement, que la procédure de l'article 26 sert quasi-exclusivement à expulser des personnes... inexpulsables. Avec ce paradoxe supplémentaire qu'elles sont alors moins bien traitées que les autres étrangers, expulsés sur le fondement de l'article 23, puisqu'elles n'ont même pas le droit d'être entendues et d'exercer leurs droits de la défense devant la commission d'expulsion !
Dans la plupart des cas, objectera-t-on, les faits commis par les personnes expulsées sont graves, voire très graves. C'est vrai si l'on se réfère aux peines prononcées : plus de 15 ans pour 9 d'entre elles, 10 à 15 ans pour 21 d'entre elles, 5 à 9 ans dans 28 cas, moins de 5 ans dans 9 cas seulement. C'est vrai également, la plupart du temps, si l'on se réfère à la nature des infractions commises : homicides, meurtres ou tentatives de meurtre, viols, tentatives de viols, ou attentats à la pudeur avec violence se retrouvent fréquemment dans la liste des délits (encore que, parmi les personnes expulsées, certaines n'avaient commis que des délits contre les biens et non contre les personnes, et que même le « meurtre » ou l'« homicide volontaire », sans autre précision, recouvrent des réalités très variables).
Mais la vraie question n'est pas là. La vraie question, c'est d'abord de savoir s'il est légitime et nécessaire d'expulser des personnes qui sont en France depuis 20 ou 30 ans, au motif qu'elles ont commis des crimes ou des délits graves : quelle que soit la gravité des faits qu'on leur reproche, les étrangers délinquants, voire criminels, ne sont pas par essence plus dangereux, lorsqu'ils sortent de prison (10, 15 ans après les faits pour lesquels ils ont été condamnés), que les Français qui ont commis les mêmes crimes et délits. Pour ceux-là, il y a longtemps qu'on a supprimé les peines de la relégation et du bannissement parce qu'on les estimait inhumaines : or l'expulsion, lorsqu'elle touche un étranger résidant en France depuis son enfance ou depuis quinze, vingt, voire trente ans, est l'exact équivalent d'un bannissement.
Quel jugement porter, par exemple, sur le cas de cet Algérien de 50 ans, arrivé en France en 1948, à l'âge de 8 ans, et que l'on expulse parce qu'il a été condamné à 5 ans de prison pour « faits d'offre, de cession et de détention de stupéfiants » ? Ou sur le cas de cet autre Algérien, né en France en 1962, expulsé pour avoir commis une série de délits dont la liste est longue mais dont la gravité intrinsèque semble moindre puisqu'ils ne lui ont valu au total que 6 ans de prison ferme (recel, contrefaçon et falsification, menace sous condition d'atteinte aux personnes, vol, usage de fausse plaque, filouterie de carburant, faits de proxénétisme, violences volontaires, délit de fuite, destruction du bien d'autrui par moyen dangereux, faits de rebellion et d'infraction à interdiction de séjour) ?
Ces expulsions sont également contestables en ce qu'elles traduisent un détournement de la procédure d'urgence absolue. Dans l'esprit de ses rédacteurs, en effet, l'article 26 devait permettre d'expulser les espions, les terroristes, les trafiquants... bref, tous ceux qui représentaient une menace gravissime pour la sécurité du pays. Cette menace, et l'urgence de leur départ, justifiaient que l'on dérogeât aux garanties de procédure et aux protections instaurées par la loi au bénéfice des étrangers ayant des attaches personnelles ou familiales en France. Force est de constater que l'usage fait de l'article 26 est bien différent puisque, à quelques exceptions près dont celle des 29 Irakiens que, à tort ou à raison, on soupçonnait de menacer la sûreté de l'Etat , ceux que l'on expulse sur le fondement de l'article 26 ont commis les mêmes crimes et délits que les autres : cette disposition est utilisée moins souvent pour se prémunir contre des menaces graves pour la sûreté de l'Etat ou la sécurité publique que pour permettre l'expulsion d'étrangers qui seraient inexpulsables selon la procédure normale.
L'administration devra toutefois tenir compte, désormais, de la position adoptée par le Conseil d'Etat dans l'arrêt Belgacem du 19 avril 1991 : il ressort en effet de cet arrêt, directement influencé par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, que l'administration ne peut expulser un étranger que si l'atteinte portée à sa vie familiale n'est pas excessive par rapport aux nécessités de la défense de l'ordre public. L'article 26 ne saurait donc être utilisé, s'agissant d'étrangers protégés contre l'expulsion en raison de leurs attaches familiales en France, que dans les cas les plus graves, la gravité devant s'apprécier moins au regard du délit commis que de la menace que les intéressés sont susceptibles de faire courir à l'ordre public lorsqu'ils ont purgé leur peine.
Dernière mise à jour :
4-12-2000 23:01.
Cette page : https://www.gisti.org/
doc/plein-droit/15-16/expulsions.html