Plein Droit
n° 15-16, novembre 1991
« Immigrés :
le grand chantier de la dés-intégration »
« Pleins feux »
sur la double peine
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Le projet de loi sur le travail clandestin, actuellement
en discussion au parlement comprend des dispositions sur la « double
peine », plus précisément sur l'impossibilité
de prononcer dorénavant des interdictions du territoire français
contre des ressortissants étrangers appartenant aux catégories
dites protégées de l'ordonnance du 2 novembre 1945.
Concrètement, le gouvernement propose une modification de l'article L. 630-1
du code de la santé publique qui viserait à interdire
au juge judiciaire de prononcer, à titre de peine complémentaire,
des interdictions du territoire français contre des personnes
ayant de solides attaches personnelles et familiales en France.
Afin de sensibiliser les parlementaires à cette question, le
Comité national contre la double peine a décidé
d'envoyer un courrier à tous les députés et sénateurs.
Cette lettre, dont nous publions ci-dessous de larges extraits, résume
parfaitement les situations individuelles désastreuses provoquées
par le prononcé systématique, par le juge, de la peine
complémentaire d'interdiction du territoire français en
cas d'infraction à la législation sur les stupéfiants.
Par ailleurs, cette lettre contient en germe les principaux axes de
la campagne que le Comité entend mener dans les semaines qui
viennent, afin que le projet de loi actuellement déposé
aboutisse au moins en l'état.
Monsieur le député,
Le Comité national contre la double peine est né
au printemps 90 de l'initiative d'un petit nombre de jeunes profondément
enracinés sur le sol de France, tous frappés de mesures
d'éloignement forcé du territoire français, en
plus d'une condamnation pénale déjà purgée,
c'est-à-dire victimes de la « double peine ».
Déjà en 1986, Mme Djida Tazdaït, actuellement
député au parlement européen et M. Nasser,
membre de l'association des Jeunes Arabes de Lyon et Banlieue, avaient
entamé une grève de la faim pour alerter l'opinion publique
sur le danger de la loi Pasqua qui, dans ses effets, correspond à
l'article L. 630-1 (du code de la santé publique, NDLR)
que le gouvernement vous propose de modifier tout en ayant
un champ d'application plus large, puisque la possibilité d'expulsion
de catégories protégées visait toutes sortes d'infractions.
Depuis, le Comité s'est fait connaître à travers
la France, auprès d'innombrables détenus tombant sous
le coup d'ITF, le plus souvent d'IDTF (interdiction définitive)
ou d'arrêtés d'expulsion (...).
Le Comité et le collectif ont rencontré, au plus haut
niveau, des représentants de l'Etat aux ministères de
l'Intérieur, de la Justice, des Affaires sociales ainsi que les
sages du Haut Conseil à l'Intégration.
Une relation de travail sérieuse et permanente s'est établie
entre le Comité et les ministères de la Justice et de
l'Intérieur. Des dizaines de cas personnels ont été
présentés en urgence et dans la douleur ressentie tant
par les intéressés que par leurs familles. Des
centaines de dossiers affluent des prisons vers le Comité et
vers les permanences juridiques d'associations travaillant sur le plan
local et national.
Chaque jour, parmi les anciens « expulsés »,
sevrés de toutes leurs attaches et rejetés sur les quais
d'Alger, les rues de Barcelone, de Tunis, de Casablanca ou d'autres
villes plus lointaines encore, il doit s'en trouver un qui déjoue
les contrôles et parvient à rentrer clandestinement en
France, chez lui, auprès de ses parents, de ses frères
et soeurs, de sa femme et de ses enfants. Chaque jour, sur cette rive-ci
de la Méditerranée, de jeunes et de moins jeunes « clandestins »
vivent traqués sous leur propre toit, vont en se cachant chercher
leurs enfants à la sortie de l'école.
Le gouvernement, conscient de la gravité de ce problème
social et des effets pervers que l'application systématique de
la loi avait entraînés, a décidé de déposer
un projet de loi sur les interdictions du territoire français.
Ce texte est soumis à discussion lors de cette session d'automne 1991.
Le Comité National et le Collectif des associations contre
la double peine ont pris note avec intérêt et satisfaction
de la teneur du projet. Ils y voient la volonté d'aller vers
la reconnaissance d'un droit à demeurer en France pour les étrangers
ancrés sur le sol français de par leur durée de
présence ici, de par les liens familiaux qu'ils y ont tissés,
un pas vers la suppression d'un des aspects les plus inacceptables de
la « double peine » : c'est ainsi que les catégories
déjà protégées de l'expulsion et de la reconduite
à la frontière ce sont globalement celles
qui peuvent obtenir de plein droit une carte de résident de dix
ans le seront aussi de l'interdiction du territoire français
prévue par l'article L. 630-1 du code de la santé
publique.
Cependant, le Comité et le collectif des associations tiennent
à relever les insuffisances du projet :
La liste des catégories protégées
des ITF est plus restrictive que celle prévue par l'article 25
de l'ordonnance du 2 novembre 1945. On comprend mal l'exclusion
des étrangers victimes d'un accident du travail ou d'une maladie
professionnelle ayant donné lieu à une incapacité
plus que substantielle.
Par ailleurs, au titre du même article 25, ne peuvent
faire l'objet d'une expulsion les étrangers condamnés
à moins d'un an de prison ferme (sauf pour certaines infractions).
Seule une peine supérieure à un an doit pouvoir donner
lieu au prononcé d'une ITF à titre de peine complémentaire
(les catégories dites protégées sont évidemment
indifférentes à ce quantum puisqu'elles ne peuvent, au
titre du projet de loi, faire l'objet de cette mesure d'éloignement
forcé).
Nous dénonçons l'exigence, pour les conjoints mariés
depuis au moins six mois, que le mariage soit « antérieur
aux faits ayant entraîné la condamnation ». Les
mariages précipités liés à un emprisonnement
ne correspondent pas moins à des situations de concubinage stables
et réelles.
Pourquoi ce silence sur l'article 26 de l'ordonnance
(expulsion en urgence absolue dont aucun étranger n'est protégé
excepté les mineurs) ? Le Comité craint qu'il ne
soit utilisé à l'encontre des catégories protégées,
le gouvernement trouvant dans cet article la seule possibilité
d'éloigner des étrangers jugés indésirables,
au nom de la nécessité impérieuse pour la sécurité
publique (cette notion renvoie à une délinquance de droit
commun).
De plus, l'adoption du projet de loi en l'état, quand bien
même il serait acquis, laisse malheureusement intact le problème
des ressortissants étrangers qui ont déjà été
condamnés à une mesure d'éloignement. Aucune disposition
transitoire à supposer que cela ait été
juridiquement possible n'a été prévue.
Nous tenons à attirer votre attention sur le sort des ITF
ou IDTF exécutées ou non, et vous rappelons que des solutions
n'ont toujours pas été apportées à la plupart
des arrêtés d'expulsion décidés par application
de la loi du 9 septembre 1986. Toutes ces mesures ne pourraient
plus être prises aujourd'hui et, nous l'espérons, demain,
pour les ITF qui concernent des étrangers ayant grandi sur notre
sol et y ayant l'essentiel de leurs attaches.
Par ailleurs, les expulsions prises en urgence absolue contre ces
mêmes catégories de personnes devront être réexaminées
favorablement.
Pour cette raison, le Comité National et le Collectif des
associations contre la double peine présentent au gouvernement
une demande de moratoire immédiat, afin de « geler »
l'exécution de toute mesure d'éloignement du territoire
français frappant les catégories protégées
de l'article 25 de l'ordonnance du 2 novembre 1945.
Ils ont par la suite l'intention de soumettre :
En l'esprit, le Comité souhaite que tous les étrangers
ayant démontré la réalité de leurs attaches
en France l'appartenance à une des situations personnelles
et familiales visées par l'article 25 de l'ordonnance suffit
à l'établir retrouvent leurs droits au séjour
et au travail (...).
Le Comité demande à être reçu par les présidents
des différents groupes parlementaires ou leurs représentants.
Ses membres sont conscients que, compte-tenu de la nature des infractions
visées par le projet de loi, à savoir les infractions
à la législation sur les stupéfiants, le combat
est loin d'être gagné.
Comment le projet franchira t-il le cap des discussions parlementaires ?
Il ne faudrait pas que la satisfaction ou la demi-victoire
comme le Comité a pris l'habitude de la nommer ne
laisse place à l'amertume et à la déception. On
sait trop comment le gouvernement, sur tous les thèmes liés
à l'immigration, peut faire marche arrière désormais.
Les associations qui ont été au cœur des négociations
sur la circulaire relative aux « déboutés »
du droit d'asile ont encore le souvenir vivace de promesses non tenues
par le ministre des Affaires sociales. Les deux campagnes aux enjeux
quantitativement et qualitativement différents restent le reflet
de la façon d'agir de gouvernants forcés de répondre
à l'urgence de situations qui peuvent devenir explosives (grèves
de la faim, mouvements dans les banlieues), sans pour autant que les
engagements pris ne se traduisent en actes. Le Comité national
contre la double peine dont l'ardeur, même parfois excessive,
ne peut que séduire, entend bien malmener ce triste constat.
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Dernière mise à jour :
18-12-2000 20:29.
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