ZONE D'ATTENTE
:
DEUX RAPPORTS ACCABLANTS DE L'ANAFÉ
De la mi-décembre 2000 à la fin janvier 2001,
une campagne d'observation a été menée par l'ANAFÉ,
concernant à la fois les zones d'attente et les audiences dites
du « 35 quater » [1]. La synthèse qui suit a été réalisée
à partir des comptes-rendus portant sur les audiences qui ont
eu lieu pendant cette campagne.
L'idée d'assister aux audiences dans la perspective d'en rendre
compte est issue du constat suivant : l'ensemble de la procédure
liée à la zone d'attente est particulièrement méconnu
et opaque. Le seul moment public de la procédure se passe lors
des audiences 35 quater au cours desquelles un juge du tribunal
de grande instance se prononce sur la demande, formulée par l'administration,
de prolongation du maintien en zone d'attente des étrangers
à qui l'accès au territoire est refusé.
Cette campagne d'observations a permis de mettre en lumière
des irrégularités de procédure extrêmement
graves, des atteintes aux droits de la défense des personnes
maintenues, des atteintes au droit à un procès équitable,
des atteintes à l'intégrité physique, de graves
lacunes en matière de prise en charge des personnes remises en
liberté, des trafics d'êtres humains.
La période durant laquelle a été réalisée
cette campagne a été profondément marquée
par la grève des avocats commis d'office au titre de l'aide juridictionnelle
du barreau de Bobigny. La totalité des audiences se sont déroulées
dans ce contexte où les droits des étrangers maintenus
ne pouvaient être défendus, sauf en présence d'un
avocat rémunéré.
Nous avons distingué les irrégularités de la procédure
suivie lors des audiences 35 quater (avocat, interprète,
rôle de la défense, attitude des juges, mineurs, publicité
des débats), les conditions du maintien en zone d'attente
telles qu'elles sont évoquées publiquement lors des audiences
(interprète, procès verbal retranscrit dans une langue
non comprise par le demandeur d'asile, absence de médecins, passage
à tabac) et les graves lacunes en matière de prise en
charge des personnes relâchée.
La publicité des débats constitue l'accroche initiale
de la campagne d'observation. À Bobigny, les audiences « 35 quater »
se tiennent dans une nouvelle salle de seulement quarante places assises [2]. L'ensemble des observateurs qui ont assisté aux audiences
ont pu relever un certain nombre de discordances. Les étrangers
maintenus en zone d'attente se trouvent confrontés à des
difficultés d'interprétariat ; l'attitude des juges
n'est pas uniforme, aussi bien durant le déroulement de l'audience
qu'à l'égard des mineurs isolés ; les droits
ne sont pas toujours notifiés aux intéressés et
l'obtention du sauf conduit reste problématique.
Après avoir décrit les conditions matérielles
de la tenue des audiences, on évoquera les effets de la grève
des avocats.
« Le maintien en zone d'attente
au-delà de quatre jours à compter de la décision
initiale peut être autorisé, par le président
du tribunal de grande instance ou un magistrat du siège délégué
par lui, pour une durée qui ne peut être supérieure
à huit jours. »
Article 35 quater-III de l'ordonnance du 2 novembre
1945
« À titre exceptionnel, le maintien
en zone d'attente au delà de douze jours peut être renouvelé,
dans les conditions prévu par le III, par le président
du tribunal de grande instance ou son délégué,
pour une durée qu'il détermine et qui ne peut être
supérieure à huit jours »
Article 35 quater- IV de l'ordonnance du 2 novembre
1945
« Les débats sont publics sauf
les cas où la loi exige qu'ils aient lieu en chambre du conseil »
Article 433 du nouveau code de procédure civile
La salle d'audience « 35 quater » de
Bobigny se situe à droite en entrant dans le tribunal, face au
porche métallique. C'est une petite salle qui ne comprend que
quarante places assises environ. À certaines audiences, tous
les étrangers sont présents en même temps dans la
pièce. Le 9 janvier, on pouvait compter 29 étrangers,
une bonne quinzaine de policiers, trois observateurs, quelques membres
de famille, plus quatre avocats et autant d'interprètes. Quand
le nombre de dossiers est très important (50, 60 voire plus...),
les étrangers encadrés par les policiers arrivent en plusieurs
groupes successifs. Pendant ces journées de forte affluence,
lorsque les personnes arrivent à accéder à l'audience,
elles restent debout. Ainsi, le 15 décembre, deux observatrices
relatent que le public, les familles et les interprètes étaient
debout, alors qu'il n'y avait que 23 étrangers.
La taille réduite de la pièce par rapport au nombre de
personnes, renforce parfois l'image d'une cohue judiciaire. Une observatrice
dénonce un brouhaha presque permanent. Il n'est pas rare, durant
le déroulement des audiences, d'entendre la porte d'entrée
qui claque toutes les dix secondes ; les avocats qui s'installent
en déplaçant des chaises et rédigeant les derniers
écrits sur leurs genoux ; des discussions entre policiers,
avocats et traducteurs ou entre les membres d'une famille qui sont venus
pour l'un des leurs. L'audience du 17 janvier est même interrompue
par un avocat qui crie haut et fort que ce n'est plus possible de travailler
dans de telles conditions. Le juge lui demande de sortir et d'aller
se plaindre à la ministre de la justice.
Si la publicité des audiences semble une chose acquise, à
plusieurs reprises certains observateurs n'ont pu accéder à
la salle, du fait de « réticences diverses ».
Ainsi, le 3 janvier, un policier a refusé par trois fois
l'accès à l'audience à une observatrice. Elle n'a
pu finalement y pénétrer qu'après 45 minutes
de pourparlers et grâce à l'intervention d'un avocat.
Enfin, le positionnement des intervenants varie selon les séances.
La table face au juge peut être réservée aux avocats
pour préparer leurs conclusions. Du coup, les étrangers
et les interprètes sont debout lors de l'examen du dossier, ainsi
que l'avocat pour assurer la défense de l'intéressé.
À d'autres moments, la table et les trois chaises sont réservées
pour chaque examen.
Il convient de prendre garde à la possibilité prévue
par la loi et envisagée concrètement dans la conception
des bâtiments de ZAPI 3 de déplacer les audiences
des tribunaux vers les lieux d'enfermement. Un tel déménagement
ne remédierait en rien aux difficultés constatées
par les observateurs. Outre le fait que la séparation des lieux
d'enfermement et de jugement a une force symbolique très grande,
le risque d'une perte d'indépendance des magistrats dans leur
prise de décision est réel. Ce déménagement
rendrait d'autre part le travail des avocats encore plus ardu et la
venue des familles et du public extrêmement difficile. La publicité
des débats en serait compromise, d'autant que la salle d'audience
se trouverait dans l'enclos contrôlé par la PAF.
« Le président
du tribunal ou son délégué statue par ordonnance,
après audition de l'intéressé, en présence
de son conseil s'il en a un, ou celui-ci dûment averti. L'étranger
peut demander au président ou à son délégué
qu'il lui soit désigné un conseil d'office. »
Article 35 quater de l'ordonnance
du 2 novembre 1945
« Le président ou son délégué
avise l'étranger de son droit de choisir un avocat. Il lui
en fait désigné un d'office si l'étranger le
demande. »
Article 4 du décret du 15 décembre 1992 fixant
certaines modalités d'application de l'article 35 quater
L'organisation de la défense des droits des étrangers
maintenus en zone d'attente est plus que chaotique dans la mesure où,
durant toute la période d'observation, la grève des avocats
s'est poursuivie au barreau de Bobigny. En l'absence d'avocats commis
d'office, l'attitude des magistrats est extrêmement variable.
Certains estiment qu'ils se doivent d'assurer un service minimum pour
la justice, que le droit de bénéficier de l'assistance
d'un avocat n'est pas une garantie fondamentale ou en tout cas, qu'il
peut y être dérogé en cas de circonstances insurmontables.
Certains juges ont décidé de prolonger le maintien en
zone d'attente alors même que l'étranger n'a jamais pu
s'entretenir avec un avocat [3].
À l'inverse, d'autres présidents d'audience estiment qu'en
l'absence d'avocat, l'irrégularité de la procédure
prime et décident de remettre en liberté toutes les personnes maintenues.
Cependant la phrase introductive à chaque examen, mentionnant
la possibilité d'avoir un conseil d'office n'a pas souvent été
citée. Le 9 janvier, un observateur a interrogé la
juge sur le fait qu'elle n'avait jamais demandé aux étrangers
s'ils souhaitaient être assistés d'un avocat. Celle-ci
a répondu : « chacun peut s'appuyer sur la
jurisprudence qu'il est libre de choisir. Il ne faut pas s'étonner
des différences que vous pouvez relever d'une audience à
l'autre ».
Dans le groupe de magistrats qui ont statué sur l'ensemble des
dossiers, deux attitudes ont généralement pu être
constatées. Les magistrats qui accordent plus de 10 minutes
à l'examen de la demande de prolongation de la PAF et ceux qui
ont mis en place une justice expéditive où l'audition
de l'étranger relève presque du miracle. Pour démonstration,
quelques échantillons d'audiences : le 27 décembre,
la juge n'interroge pratiquement pas les personnes, excepté une
fois, où elle demande alors à une jeune femme si elle
a quelque chose à ajouter. La personne répond : « I
want a lawyer ». Par la suite, la juge ne demandera plus
à quiconque s'il veut ajouter quelque chose et encore moins s'il
souhaite un avocat. Lors de l'audience du 24 janvier, l'une des
questions récurrentes du juge est de demander si la personne
a de la famille en France, alors que ce renseignement dans le cas d'une
demande d'asile est sans incidence sur une éventuelle prolongation.
Dans la moitié des cas, il n'attend pas la réponse ou
l'apporte lui-même. Ce jour-là, l'examen de chaque affaire
prend au mieux 3 minutes.
De manière plus atypique, le 21 janvier, suite à
la demande de tous les étrangers maintenus d'être
assistés d'un avocat, le magistrat décide d'ajourner l'audience,
à charge pour les personnes qui souhaitaient être défendues
de trouver un avocat pour le lendemain. Cette attitude reste exceptionnelle.
Le juge leur conseille de prendre un défenseur à leurs
frais en raison de la grève. Les personnes pour lesquelles le
délai de 96 heures expirait le jour de l'audience, ont été
libérées le jour suivant ; le juge soulignant que
« c'est un simple avis d'audience, ce n'est pas une décision ».
Face aux revendications professionnelles des avocats, dont les étrangers
ne devraient pas avoir à subir les conséquences, certains
juges ou avocats du ministère de l'Intérieur se sont laissés
aller à des dérives, révélant, davantage
encore que d'habitude, d'un véritable « match d'improvisation »
judiciaire. Lors de l'audience du 28 janvier, la juge demande en
début d'audience à ceux qui souhaitent un avocat de lever
la main.
Audience du 28 janvier : (35 bis) un Malien, originaire
de Kayes, âgé de vingt ans, déclare avoir un avocat.
À 10h50, ce dernier n'est pas encore présent à
l'audience. Le juge statue tout de même et prolonge la rétention.
Il s'ensuit une altercation verbale entre la juge et l'étranger.
Ce dernier refuse d'être jugé sans son avocat. La juge
lui dit que si l'avocat n'est pas là, elle n'y peut rien. Le
jeune malien ajoute qu'il refuse de rentrer au Mali. C'est alors que
la juge lui répond : « Si vous préférez
aller en prison, plutôt que d'aller au Mali, vous savez ce qui
vous reste à faire ». Puis elle le menace et hurle
jusqu'à ce qu'il accepte de signer le procès verbal. L'avocat
arrivera à 11h30 et déposera un recours à 12h10.
Puis, elle déclare à l'assemblée que du fait de
la grève des commis d'office, il ne pourront bénéficier
de cette assistance et elle n'y peut rien. Malgré l'absence d'avocat,
elle statue sur l'ensemble des dossiers et maintient certains étrangers
en zone d'attente. Deux jours plus tard, dans la même salle, l'interprète
en anglais insiste auprès d'un étranger, pour lui expliquer
que l'assistance d'un avocat est gratuite. C'est alors que le représentant
du ministère de l'Intérieur s'insurge.
Voir aussi le document
« Tableau récapitulatif
de l'attitude des juges face à la grève des avocats »
Notes
[1] Article de l'ordonnance
du 2 novembre 1945 sur l'entrée et le séjour des étrangers
en France, qui régit le maintien en zone d'attente.
[2] À Paris, la salle
d'audience où se déroulent les appels 35 quater, toute
en longueur, permet d'accueillir une petite douzaine de personnes.
[3] Certains juges ont ainsi
respecté la procédure judiciaire, à son préliminaire,
en demandant aux personnes maintenues si elles souhaitaient un avocat,
mais en précisant qu'il ne pouvait leur en fournir pour cause
de grève. Ce moyen n'était donc pas retenu pour refuser
la prolongation du maintien. Le 15 décembre, le juge a entendu
les 14 personnes concernées, seules 4 ont été
remises en liberté pour notification tardive au Parquet et absence
d'interprète.
Dernière mise à jour :
2-04-2001 21:34.
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